« Un aveugle candidat aux élections municipales, et pourquoi pas une chèvre ? » Voici le type de commentaires auxquels Matthieu Annereau a dû faire face lorsqu'il s'est lancé en politique... Quand on ne l'accusait pas de « simuler son handicap ». « Ça en dit long sur le degré d'inclusion de l'époque ! », souligne celui qui est aujourd'hui conseiller municipal de Saint-Herblain (Loire-Atlantique) et conseiller métropolitain de Nantes. Une dizaine d'années plus tard, les choses ont-elles vraiment changé ? « Il y a eu des avancées mais pas assez », répond le président de l'APHPP.
Un colloque pour faire le point... et taper du poing !
L'Association nationale pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées organisait, le 12 janvier, le colloque « Tous citoyens », au Sénat, à Paris. Leitmotiv ? « En 2024, 12 millions de personnes n'ont pas voix au chapitre dans la classe politique ». « Pourtant, la convention internationale de l'ONU impose aux Etats signataires, dont la France, de veiller à favoriser l'engagement politique des citoyens handicapés », rappelle Matthieu Annereau. « Cela fait dix ans que l'on prêche cette inclusion, dix ans que l'on entend des annonces, des bonnes intentions, sans aucun réel changement, observe-t-il. Et, aujourd'hui, les personnalités politiques et différents élus qui avaient promis d'être présents (ndlr : comme la ministre déléguée au Handicap, Fadila Khattabi) brillent par leur absence. » La faute au remaniement ministériel en cours ?
Des obstacles à chaque étape
Cet « engagement politique » englobe plusieurs choses : le fait de pouvoir voter, d'être candidat, de « mener son mandat d'élu dans un principe d'égalité des droits et des chances » mais aussi de « pouvoir sensibiliser l'administration qui doit s'adapter aux besoins spécifiques de certains élus », explique Matthieu Annereau. A chacune de ces étapes, des obstacles compliquent l'accès des personnes handicapées à leur pleine citoyenneté. Plusieurs d'entre eux ont été évoqués lors de ce colloque.
Le premier : le manque d'accessibilité des campagnes électorales. L'association pointe des évolutions, comme l'édition de professions de foi en Facile à lire et à comprendre (FALC) par exemple, mais « à la marge » ainsi qu'un « manque d'uniformité ». Pour en savoir plus, consultez l'article : Campagnes électorales peu accessibles: un manque de volonté?.
Deuxième constat : peu de personnes en situation de handicap se lancent en politique notamment en raison de préjugés persistants et d'un manque d'accompagnement. Pour en savoir plus, consultez l'article : Elus handicapés : besoin urgent de soutien pour leur mandat.
Sensibiliser la classe politique
Pour changer la donne, le premier levier consiste à sensibiliser la classe politique, qui, selon Matthieu Annereau, établit toujours un lien de subordination entre élus « valides » et handicapés. « Ces échanges m'ont éveillée à vos difficultés, vos contraintes. J'avoue très humblement qu'on n'y pense pas forcément en tant qu'élu », admet Marie-Pierre Richer, sénatrice du département du Cher, qui devrait prochainement remplacer Philippe Mouiller, sénateur des Deux-Sèvres, au groupe d'études « Handicap » du Sénat (Lire : Le 1er groupe d'études "handicap" voit le jour au Sénat ).
Une image stéréotypée du « politique »
« Pour de nombreuses personnes, le 'politique' est un homme fort, sans fragilité, puissant. Tandis que les personnes handicapées sont encore perçues comme des êtres avec des fragilités psychiques, sensorielles, mentales, incompatibles avec un poste à responsabilité », déplore Matthieu Annereau, qui exhorte à briser les tabous. « Si la classe politique ne les prend pas en compte, c'est peut-être en dehors des partis traditionnels que les personnes handicapées devront faire leur chemin », incite-t-il.
Un collectif d'élus et de candidats handicapés
C'est dans ce contexte que l'APHPP a lancé en 2023 un collectif de candidats et d'élus en situation de handicap afin d'« exister sur l'échiquier politique » (Lire : Elus handicapés: bientôt des aides pour assurer leur mandat?). « Nous avons besoin d'enclencher un mouvement et, pour cela, il faut commencer par se rassembler, échanger expériences et bonnes pratiques puis porter un discours commun auprès des pouvoirs publics. » « Le collectif ne cesse de se développer, de nouveaux et anciens élus nous ont rejoints », se réjouit Matthieu Annereau. Déjà un millier d'entre eux seraient prêts à s'engager dans les futures élections, tandis que l'APHPP estime leur nombre potentiel à 10 000. Son credo : « Si on ne nous laisse pas notre place, prenons-la ! »