« Chérie, j'ai oublié le handicap ! » Parodiant la une de Libération du 13 avril 2022, « Chérie, j'ai oublié la gauche », où l'on voit Emmanuel Macron courir à pleine foulée, le Collectif handicaps se rappelle aux bons souvenirs du candidat à la Présidentielle, et des autres... D'une voix unanime, les personnes concernées déplorent l'absence du handicap dans cette campagne 2022, si ce n'est à la faveur d'une sortie de route sur « l'obsession de l'inclusion à l'école » d'Eric Zemmour en janvier, un feu de paille qui n'aura duré que le temps de l'indignation.
Certains avaient l'espoir d'un dernier sursaut lors du débat du second tour du 21 avril... Alors qu'Emmanuel Macron en avait fait sa carte blanche en 2017, le handicap n'a été évoqué qu'à une reprise lorsqu'il a été fait mention de l'Allocation adulte handicapé (AAH). Rejoignant la ligne de conduite de Marine Le Pen et de l'ensemble des partis d'opposition, le président sortant annonce in extremis, après s'y être opposé durant des mois, qu'il envisage son éventuelle déconjugalisation pour les personnes vivant en couple (article en lien ci-dessous). Pour le reste, sur 2h30 de débat, aucune mention des personnes handicapées.
Par le petit bout de la lorgnette
Le sort de douze millions de Français, bien davantage si l'on compte les aidants et les proches (on avance le nombre de 23 millions au total), n'a pas réussi à faire sa percée dans le débat, les meetings et les médias. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir interpellé les candidats durant des semaines à coups de plaidoyers, livres blancs, lettres ouvertes, débats citoyens et autres manifestes. APF France handicap lançait par exemple sa campagne #23MillionsDeVoix, forte de 300 témoignages vidéos de personnes en situation de handicap et de leur famille. En ordre de bataille, les associations, déplorant d'être « invisibilisées », ont sorti les armes pour porter haut leurs revendications, avec l'espoir d'être (un peu ?) entendues, jusqu'à pousser (forcer ?) la porte des QG de campagne. Des réponses mais pas de tous, des rendez-vous mais pas avec tous.
Pour la première fois, 2 grands débats
Deux initiatives inédites avaient pour objectif de faire émerger cet enjeu. Tout d'abord le Grand oral du handicap by le Collectif handicaps. Et puis, quelques jours plus tard, Handébat à la Maison de la Radio, à l'initiative de quatre associations notamment de personnes aveugles, qui faisait suite à des rencontres filmées avec les candidats dans leur QG (article en lien ci-dessous). Pour Anthony Martins-Misse, co-organisateur de Handébat, c'était la « première fois qu'on offrait un lieu d'expression autour du handicap, sans revendications partisanes, sans pathos, misérabilisme ou agressivité. On parlait des faits, proposition contre proposition ». Ces deux moments forts ont tenté de réunir les candidats sur un même plateau sans atteindre le succès escompté puisque tous n'ont pas pris le temps de venir en personne. Violette Viannay, de l'Association des personnes de petite taille, renvoie également les journalistes face à leurs responsabilités : « Avant même de parler des candidats, j'attendais d'eux et de ceux qui participent activement à la communication de cette campagne de favoriser la visibilité des personnes handicapées ». C'est, selon elle, « un vrai enjeu sociétal », au même titre que « l'écologie ou l'égalité hommes-femmes ».
Un sujet survolé
Le handicap serait-il un domaine casse-gueule ? « Oui, consent Thibaut de Martimprey, co-organisateur de Handébat, cela reste un sujet qui n'intéresse pas beaucoup les équipes de campagne, pointu, souvent vu par le prisme médical, jugé très compliqué et qui peut facilement générer incompréhensions et polémiques ». Alors la plupart des candidats se sont contentés de survoler la question, sans entrer dans le dur, l'intemporel et l'universel. « Si certains programmes étaient assez complets, la très grande majorité se limitait à un empilement de mesures. Même si certaines sont légitimes, elles ne font pas une politique du handicap et ne sont pas vraiment innovantes », déplore le Collectif handicaps qui se désespère de porter « certaines revendications depuis plus de 40 ans ! ». « Des propositions très partielles et qui ne correspondent pas à l'urgence des actions à engager », complète Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d'APF France handicap. Pourtant, en ouvrant un peu ses écoutilles, on comprend qu'il ne s'agit pas seulement de politique du handicap mais bien d'un projet sociétal majeur au bénéfice du plus grand nombre. Les politiques ont raté cette fenêtre de tir, s'obstinant à voir ce « sujet » (certains parlaient même de « problématique » !) par le petit bout de la lorgnette, quitte à ne pas le voir du tout...
Quelles priorités à venir ?
A trois jours du verdict des urnes, qu'attendent les associations du champ du handicap du(de la) futur(e) président(e) ? Pour le Collectif handicaps, « la nouveauté serait de mettre en œuvre le principe d'accessibilité universelle, un revenu minimum d'existence, des droits à compensation à la hauteur des besoins ou encore une 5e branche autonomie financée dès les 100 premiers jours ». L'Unapei réclame, quant à elle, « une approche pluriannuelle dans le cadre d'une trajectoire de financement explicite à dix ans. L'ambiguïté du positionnement de l'Etat vis-à-vis des collectivités territoriales doit être levée. Cela nécessite de se donner les moyens d'une véritable évaluation des besoins des personnes, ce qui n'est actuellement pas le cas ». Son président, Luc Gateau, réclame également des « statistiques » fiables, nécessaires « pour construire une politique du handicap ».
Trisomie 21 France reste sur sa faim, notamment en matière de scolarisation : « Alors que le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies rappelle qu'il faut en finir avec des filières ségrégatives, hors du droit commun, la quasi-totalité des candidats répondent par des AESH (accompagnants d'élèves) supplémentaires, qu'il faut mieux rémunérer et dont il faut améliorer le statut. Si nous ne nions pas les besoins en la matière, nous savons aussi que la solution ne réside pas dans le 'tout AESH' ; c'est la question de l'accessibilité des enseignements qui doit être posée, dans toutes ses dimensions : physique, pédagogique, linguistique… ». « L'une des principales revendications des Français lors de cette campagne a été le pouvoir d'achat, et c'est un enjeu d'autant plus important lorsqu'on est en situation de handicap », revendique à son tour l'Apajh, qui réclame notamment la revalorisation de l'AAH au niveau du seuil de pauvreté, une mesure de « justice sociale » évoquée par plusieurs candidats.
2024, vitesse supérieure ?
Même si Trisomie 21 France dit savoir « que les campagnes sont souvent l'occasion de mettre en avant des promesses qui ne seront pas tenues », l'Unapei espère en finir avec les « vœux pieux » et « revenir aux fondamentaux en se donnant les moyens de lutter réellement contre l'exclusion ! ». Ce cap de grande envergure, notamment en matière d'accessibilité universelle, pourrait se fixer une échéance symbolique : 2024, les Jeux de Paris. « Comment faire pour ne pas renvoyer une image lamentable de la France, s'interroge Thibaut de Martimprey, je n'entends aucune réponse tangible là-dessus ». Une occasion historique pour passer à la vitesse supérieure selon l'adage olympique « Plus vite, plus haut, plus fort ». Le décompte est lancé... et bientôt les bulletins seront comptés.