« Des millions de personnes en situation de handicap rencontrent encore des obstacles pour exercer leurs droits fondamentaux, y compris le droit de vote. Est-ce acceptable dans une démocratie moderne ? », interpelle l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP). Le 23 octobre 2025, elle a publié un manifeste pour des élections accessibles en 2026, cosigné par sept autres organisations et remis à la ministre déléguée au Handicap Charlotte Parmentier Lecocq*. Pour son président, Matthieu Annereau, conseiller municipal aveugle à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), il est urgent de faire des municipales de mars 2026 un « tournant concret pour l'accessibilité universelle ».
Un enjeu démocratique encore marginal
« Le handicap et l'accessibilité ne sont pas considérés comme un enjeu prioritaire, ni électoral », déplore Matthieu Annereau auprès de Handicap.fr. Selon lui, la citoyenneté des personnes handicapées reste trop souvent théorique. Et pourtant, « l'accessibilité est un droit. C'est aussi un levier de justice sociale, de participation citoyenne, et de transformation durable de nos territoires ». Malgré les engagements affichés, la réalité reste bien différente sur le terrain, la faute à un « un désintérêt politique persistant », estime l'élu. « On considère que le handicap ne rapporte pas de voix. Et comme nombre de personnes handicapées votent peu, on ne fait pas d'efforts pour elles. C'est un cercle vicieux. » Pourtant, rappelle-t-il, « un grand nombre d'entre elles seraient prêtes à voter si elles avaient accès à l'information et pouvaient le faire en autonomie. Les candidats qui l'auront compris y gagneront forcément. »
Une campagne nationale d'information sur l'accessibilité
Pour changer la donne, Matthieu Annereau incite tout d'abord à réaliser une campagne nationale d'information sur l'accessibilité des élections. « Il est essentiel que le gouvernement prenne la parole dans les médias publics pour informer les électeurs en situation de handicap de leurs droits et pour sensibiliser les candidats », plaide l'élu. Il encourage à relayer cette communication dans toutes les collectivités, auprès des équipes de campagne et des services municipaux chargés d'organiser les scrutins.
Mais informer ne suffit pas, encore faut-il former les personnes qui accueillent les électeurs. « On oublie qu'une personne non voyante peut avoir besoin d'être guidée ou d'obtenir de l'aide pour signer la liste d'émargement après avoir voté », souligne-t-il.
Les préfectures, moteur de l'accessibilité électorale ?
Deuxième priorité : mobiliser pleinement les préfectures. « Chaque candidat passe par la préfecture pour enregistrer sa liste. C'est là qu'on lui remet son récépissé de candidature, les guides du candidat ou du mandataire financier. Il faut profiter de ce moment pour le sensibiliser à l'accessibilité de sa campagne et de ses supports. » L'élu appelle également à impliquer davantage les sous-préfets à l'inclusion et au handicap, désormais présents sur tout le territoire : « Ils doivent être pleinement mobilisés pour impulser cette dynamique. » Les préfectures pourraient ainsi devenir le moteur opérationnel de la mise en accessibilité du processus électoral, à condition que l'État leur en donne clairement le mandat.
Des solutions pour garantir l'accessibilité
Sur le terrain, cette ambition doit se traduire par une série de mesures très concrètes pour faciliter l'accès au vote. Les signataires du manifeste appellent notamment à une diffusion accessible de l'information électorale : sites internet et publications municipales en formats adaptés, contenus lisibles avec les lecteurs d'écran et en version Facile à lire et à comprendre (FALC). Ils réclament également des campagnes électorales inclusives avec des programmes accessibles en braille, audio, numérique, FALC ou encore en langue des signes française (LSF), et des affiches audiodécrites.
L'accessibilité passe aussi par des aménagements simples mais essentiels : signalétique adaptée, cheminements accessibles, bulletins de vote en braille ou avec QR codes. Le manifeste suggère enfin de recueillir les retours des électeurs ayant rencontré des difficultés et de diffuser les résultats en formats accessibles. « Ce ne sont pas des gadgets. C'est du concret, et ça change tout », insiste M. Annereau. « Chaque candidat souhaitant s'inscrire dans cette logique devrait pouvoir y être encouragé par l'État et voir ses démarches facilitées », ajoutent les associations.
Des initiatives inspirantes à généraliser
Certaines collectivités montrent déjà la voie. « À Paris, un bandeau en braille a été testé devant les piles de bulletins de vote : simple et efficace, illustre Matthieu Annereau. À Grigny-sur-Rhône, les assesseurs ont été formés à l'accueil des électeurs handicapés, et des personnes concernées ont participé à la tenue des bureaux de vote. » Des initiatives « inspirantes, peu coûteuses et immédiatement reproductibles », selon lui, et qui montrent que « des solutions existent déjà, il suffit de les généraliser ».
La suppression de l'écriture inclusive fait débat
Parmi les mesures proposées dans le manifeste, la suppression de l'écriture inclusive dans les documents électoraux fait débat. Mais, pour Matthieu Annereau, la question n'est pas idéologique : « Les points médians rendent la lecture difficile, voire impossible, pour les personnes malvoyantes, dyslexiques ou présentant un handicap mental, ainsi que pour les lecteurs d'écran. » « La langue française est assez riche pour être inclusive sans nuire à la lisibilité, poursuit-il, appelant par exemple à écrire « chers habitants, chères habitantes » plutôt que « cher·es habitant·es ». « L'accessibilité de l'information doit rester la priorité », martèle l'élu.
Sanctionner les communes hors la loi
Autre revendication majeure : instaurer des sanctions pour les communes qui ne respectent pas la loi. « Comme pour tout établissement recevant du public, l'accessibilité d'un bureau de vote est une obligation légale », rappelle Matthieu Annereau. Pourtant, vingt ans après la loi de 2005, « on est encore loin du compte ». Il encourage aussi les citoyens à agir : « Les personnes handicapées qui font face à ces situations doivent les signaler au Défenseur des droits. C'est une discrimination liée à la citoyenneté. Voter, c'est le premier échelon pour se sentir citoyen. Ne pas pouvoir le faire, c'est se sentir relégué. »
Enfin, Matthieu Annereau plaide pour un suivi concret et mesurable. « Les commissions de contrôle doivent aussi vérifier l'accessibilité des bureaux de vote et la formation des assesseurs. Inutile de créer une nouvelle instance, il suffit d'intégrer ces critères dans les contrôles déjà existants. »
Pérenniser l'élan des Jeux de Paris 2024
Pour l'APHPP, la responsabilité est claire : « L'État doit encourager les candidats à s'engager, mobiliser les fonds publics et coordonner les acteurs. » À quatre mois des prochaines municipales, l'appel est lancé. Les associations veulent prolonger l'élan né de Paris 2024. « Les Jeux paralympiques ont prouvé qu'un pays pouvait se mobiliser pour l'accessibilité. Cet élan doit devenir un héritage », souligne le manifeste. « On ne peut pas dire qu'on est tous égaux si certains ne peuvent même pas voter, conclut Matthieu Annereau. Faire des élections accessibles, c'est réaffirmer que la République ne laisse personne de côté. »
* Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CFPSAA), Association Valentin Haüy (AVH), Fédération des aveugles et amblyopes de France (FAAF), Voir ensemble, Association française des professionnels pour l'accessibilité aux personnes handicapées (AFPAPH), APF France handicap, Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI)
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