Les années se suivent et se ressemblent... En 2021, le handicap reste, pour la cinquième année consécutive, le premier motif de discriminations, devant l'état de santé et l'origine. Principaux obstacles pour les 12 millions de Français concernés ? L'emploi et les services publics, plus que jamais « déshumanisés » en période de crise sanitaire (article en lien ci-dessous). Le verdict tombe le 5 juillet 2022. Un verdict aux allures de couperet... Attendu. Redouté. Inévitable ? « Ne cédons pas à la fatalité ! », exhorte Claire Hédon, Défenseure des droits (DDD), qui publie son rapport annuel d'activité (en lien ci-dessous), le deuxième depuis sa nomination. 139 pages pour dénoncer des blocages, des manquements, des discriminations... Et ainsi « faire en sorte que ces chemins obstrués redeviennent des voies d'accès aux droits » !
Nette hausse des réclamations : une « société ébranlée »
En dix ans, le Défenseur des droits a reçu environ un million de réclamations, dont 114 898, rien qu'en 2021, soit 18,6 % de plus qu'en 2020. Un « niveau jamais atteint », notamment dû aux conséquences de la crise sanitaire, qui révèle « l'ampleur des entraves dans l'accès aux droits », selon Claire Hédon. Le signe de fractures qui se creusent ? Pour rappel, instituée par la loi organique du 29 mars 2011, cette autorité indépendante peut recueillir les saisines relatives à cinq grandes thématiques : les droits de l'enfant, les lanceurs d'alerte, la lutte contre les discriminations mais aussi le respect de la déontologie par les forces de sécurité et celui des droits des usagers des services publics. « Défaillances systémiques, difficultés matérielles ou manquements plus ponctuels... Cumulés, ces obstacles alimentent les sentiments de découragement et de défiance envers les institutions publiques, constate-t-elle. Ce sont, malheureusement, les personnes les plus vulnérables qui en font, le plus souvent, les frais mais c'est toute notre société qui s'en trouve ébranlée. » « Pas de cohésion sociale sans respect du droit ! », martèle Claire Hédon.
Faire du handicap un enjeu prioritaire
Rendez-vous page 49 du rapport pour découvrir le chapitre consacré au handicap. L'ambition du DDD ? En faire un « enjeu prioritaire des politiques publiques ». Pour l'heure, le bilan est salé. Après l'ONU, c'est le Défenseur des droits qui remet en cause l'application de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), en France, notant « d'importantes lacunes subsistantes ». Claire Hédon regrette, dans de nombreux domaines, « des écarts importants entre l'ambition affichée, les objectifs poursuivis et l'effectivité de leur mise en œuvre ». Elle déclare être disposée à assurer, en lien avec les associations, le suivi de la mise en œuvre des recommandations du Comité des Nations unies (déconjugalisation de l'Allocation adulte handicapé, reconnaissance du refus d'aménagement raisonnable comme « une forme de discrimination dans tous les domaines de la vie »...). En outre, la DDD constate qu'il existe encore de nombreux freins à l'autonomie et à l'inclusion des personnes handicapées, liés, d'une part, à l'absence d'accessibilité universelle et, d'autre part, à des réponses insuffisantes ou inadaptées aux besoins.
Une scolarisation entravée
C'est notamment le cas de nombreux élèves en situation de handicap qui se retrouvent sans solution éducative. Malgré les évolutions règlementaires (décret 2020- 1523) destinées à encadrer ces pratiques discriminatoires, les agents du DDD ont continué d'observer des refus fréquents d'aménagements des examens pour les élèves ayant des troubles dys. Dans un autre registre, ils ont été saisis par la mère d'un élève de CM1 qui, malgré une décision du conseil départemental portant à 18 le nombre d'heures de soutien à l'école, n'en a bénéficié que de 6 par semaine. Après avoir exposé la situation, la direction des services départementaux de l'Education nationale (DSDEN) a finalement procédé à un recrutement spécifique afin d'assurer à l'enfant un accompagnement adapté. La « DDD n'a de cesse de rappeler l'obligation d'assurer le maintien de l'accès à l'école ordinaire, avec la présence d'une aide humaine adaptée ou l'accompagnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans l'établissement, et le suivi de la mise en œuvre des plans d'accompagnement global », affirme le rapport.
La santé mentale des enfants : « priorité absolue »
Outre leur scolarité, la santé mentale des enfants constitue également une « priorité absolue » dans une période de crise sanitaire qui a accentué les idées noires, tentatives de suicide, symptômes dépressifs, troubles du sommeil et alimentaires... Particulièrement inquiète par cette recrudescence des troubles psychiques, la DDD a consacré son rapport annuel 2021 sur les droits de l'enfant à cette thématique, dans laquelle elle formule 29 recommandations pour interpeller les pouvoirs publics sur l'urgence d'agir (article en lien ci-dessous). « Les nombreuses saisines traitées soulignent de manière récurrente le déficit criant de professionnels du soin et de structures adaptées, mais aussi la difficulté pour les plus jeunes de bénéficier d'une approche globale de leur situation », explique-t-elle.
Des services publics défaillants
Avec plus de 90 000 saisines dédiées en 2021, contre 76 000 en 2020, les services publics cristallisent les contestations. La communication entre l'usager et l'administration semble se détériorer au fil des années. Absence de réponse, délais déraisonnables, difficultés à joindre l'agent responsable du dossier, impossibilité de prendre rendez-vous à un guichet et, même lorsque c'est le cas, à faire aboutir une démarche... Ces défaillances peuvent entraîner impatience, incompréhension, voire colère. La médiation administrative apparaît alors comme une alternative, particulièrement utile pour les personnes en situation de handicap qui multiplient les démarches administratives, afin de renouer le dialogue et de désamorcer les conflits (article en lien ci-dessous). Le DDD s'inquiète également d'une dématérialisation à marche forcée qui met en difficulté les publics particulièrement éloignés du numérique administratif, telles que certaines personnes handicapées mais aussi âgées ou en situation de précarité sociale. « Il faut remettre de l'humain dans nos maisons », prêche Claire Hédon. Elle relève toutefois plusieurs « évolutions notables » depuis les premiers travaux conduits sur ce sujet en 2018, à commencer par « une prise de conscience des autorités publiques, qui ne revendiquent plus une transition totale des administrations vers le numérique ».
Protéger les lanceurs d'alerte
Les droits des lanceurs d'alerte sont aussi fortement ébranlés. En témoignent les 89 réclamations reçues à ce sujet, contre 61 en 2020, soit une hausse de 45,9 %. En 2021, la DDD a soumis deux avis au Parlement, appelant à une « transposition ambitieuse de la directive européenne relative aux lanceurs d'alerte ». Les lois du 21 mars 2022 ont ainsi renforcé leur protection et élargi le rôle du Défenseur des droits, notamment avec la création d'un poste d'adjoint chargé de leur protection. Outre son rôle d'orientation, l'institution est désormais chargée d'informer et de conseiller ces « vigies » et de défendre leurs droits et libertés.
Faciliter les signalements
Parce que la seule solution pour les combattre est, d'abord, de les mettre en lumière, la DDD encourage les personnes victimes de discriminations à les signaler sur la plateforme antidiscriminations.fr, lancée, à la demande du Président Macron, en février 2021 (article en lien ci-dessous). En moins de dix mois, plus de 11 000 personnes ont appelé le 3928 ou tchaté avec des juristes, entraînant une hausse des saisines de 22,2 %. Sur cette plateforme, le critère de l'origine arrive juste devant le handicap et l'état de santé.
Et parce que « rien ne vaut, dans certains cas, un accueil physique », insiste la DDD, ses 550 délégués qui assurent des permanences dans plus de 870 points d'accueil constituent « un maillage territorial de proximité indispensable ». « Ils sont de plus en plus souvent le dernier recours pour des usagers désemparés », ajoute-t-elle. « Ecoute, présence, accompagnement, médiation... Ils sont des acteurs-clés pour faire valoir ses droits, notamment pour les personnes les plus vulnérables », parvenant à « résoudre des situations de plus en plus complexes dans un contexte où les services publics sont de plus en plus absents », estime la DDD.
Après la présentation à la presse, place à l'audition au Sénat, le 6 juillet 2022. Claire Hédon présentera ensuite son rapport au président Macron et à l'ensemble des ministres concernés. « Cette hausse constante des discriminations n'est pas inéluctable, pourvu qu'on mette tous les moyens nécessaires pour soigner les maux dont souffre notre société », conclut la Défenseure.