Par David Arrode
"Je fais partie des meubles", s'amuse Ariane Bordat, 39 ans, qui vit depuis son ouverture en 2011 dans une ancienne résidence étudiante transformée en colocation de vingt studios au Havre. Les vingt résidents de cet habitant partagé ont en commun d'être porteurs d'un handicap psychique, englobant des troubles qui touchent trois millions de personnes en France, selon l'Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam).
Retrouver une vie sociale
Ariane souffre depuis son adolescence d'un "trouble de la personnalité borderline", avec des symptômes de schizophrénie et bipolarité. Déscolarisée, rencontrant des difficultés à nouer des attaches sociales, à vivre de manière autonome, elle a intégré le Dispositif habitat Côté cours de l'association Vivre et devenir. Comme ses colocataires, elle dispose d'un studio avec kitchenette ainsi que d'un espace collectif au rez-de-chaussée où sont pris en commun les repas du midi. Deux auxiliaires de vie accompagnent les résidents cinq jours sur sept. La nuit et les weekends, les colocataires sont autonomes. "On nous demande de nous impliquer dans la vie collective" en participant aux tâches ménagères. Il n'y a pas de contrôle au niveau des sorties, explique Ariane qui confie : "Habiter ici m'a permis de retrouver une vie sociale". Pour preuve, la jeune femme a un petit ami, elle a décroché un emploi de secrétaire en CDI au sein de l'association. Par ailleurs, son suivi médical est désormais très allégé, elle voit sa psychiatre tous les deux ou trois mois, contre une fois par semaine quand elle était adolescente.
Pour vivre en milieu ordinaire
Le Dispositif habitat Côté cours a été créé dans les années 2000 par l'hôpital psychiatrique du Havre qui souhaitait proposer une "réhabilitation psychologique" post-hospitalière aux personnes en situation de handicap psychique. Environ 400 patients sont accompagnés aujourd'hui. Le dispositif propose 125 logements dont huit maisons (bientôt dix en 2023) en habitat partagé. "Les personnes qui ont des troubles psychiques sont très stigmatisées. Longtemps, elles ont été orientées vers l'hôpital ou les institutions du type foyer. Or elles peuvent vivre en milieu ordinaire si elles sont accompagnées", explique la directrice de ce dispositif, Marie Delaroque. Avec comme premier impératif le fait "que la personne ait un toit sur la tête", insiste-t-elle. Les partenariats noués permettent ensuite un accompagnement des colocataires par des services d'aide à domicile (SAAD) et des services d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), qui jouent un rôle de "filet de sécurité".
Objectif autonomie !
De nombreux médecins constatant que le bénéfice des soins était perdu après une hospitalisation faute de possibilité d'hébergement, le psychologue américain Sam Tsembéris a initié dans les années 1990 le programme "Housing First" ("un chez soi d'abord"). Alliance d'un logement et d'un accompagnement qui littéralement "enveloppe" la personne ("wraparound services"), "Housing First" est devenu une politique internationale recommandée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'ONU. En France, dans le prolongement de la loi Elan de 2018, qui instaurait un "forfait habitat inclusif", une "aide à la vie partagée" (AVP) a commencé à être déployée à compter du 1er janvier 2021 (article complet et vidéo explicative en lien ci-dessous). La prise en charge de son coût est assurée par les départements (70 sont engagés à ce jour) et la Caisse nationale de la solidarité pour l'autonomie (CNSA). "On est rentré dans un mouvement de généralisation de l'habitat inclusif", se réjouit Patty Manent, directrice du développement de Vivre et devenir. "L'objectif est d'autonomiser au maximum la personne et de lui offrir l'accompagnement dont elle a besoin pour pouvoir s'épanouir et vivre une vie la plus normale possible".
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