Handicap sévère : l'adolescence, passage sous haute tension

Rapport alarmant. La transition des jeunes en situation de handicap sévère vers l'âge adulte est un parcours semé d'embûches. L'Académie nationale de médecine dénonce les ruptures de soins et propose un accompagnement mieux coordonné.

• Par
: Un jeune homme handicapé (en fauteuil roulant) face à une psy.

« L'adolescent, puis le jeune adulte, en situation de handicaps sévères, présente une double vulnérabilité : celle de ses handicaps et celle de l'adolescence », martèle le rapport de l'Académie nationale de médecine (ANM), publié le 13 mai 2025 et piloté par le Professeur Alain Yelnik, spécialiste en médecine physique et de réadaptation. Une période à haut risque de « rupture de soins et du parcours éducatif, de détresse psychologique... ». Car, à la clé, un changement souvent « brutal » : nouvelles équipes médicales, nouveaux établissements médico-sociaux, parfois un déménagement... Autant de bouleversements qui fragilisent encore plus ces jeunes déjà « vulnérables ».

« L'âge de 18 ans ne doit pas être un couperet »

Le rapport de 29 pages insiste sur la nécessité d'« adapter la transition au rythme de chaque jeune », en tenant compte de sa maturité individuelle, sachant que la maturation cérébrale se poursuit « jusqu'à 25 voire 30 ans ». « L'âge ne doit pas être le seul facteur déterminant », insiste le Pr Yelnik, qui affirme que le cap des 18 ans ne doit pas être un « couperet ». Cette souplesse est indispensable pour « anticiper et coordonner cette transition ». Ainsi, l'Académie recommande de désigner un médecin référent adulte dès l'adolescence, afin d'accompagner le jeune dans ses choix et de prévenir les ruptures de soins.

Amendement Creton : un filet de sécurité ?

À 18 ans, direction les établissements médico-sociaux pour adultes… quand il y a une place car la demande dépasse largement l'offre, créant des listes d'attente interminables et plongeant les familles dans l'incertitude. Rappelons qu'environ 7 690 personnes, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, bénéficient de l'amendement Creton. Instauré en 1989, il permet sous certaines conditions, de maintenir temporairement un jeune majeur dans une structure pour enfants au-delà de ses 20 ans, le temps qu'une solution d'accueil adaptée pour adultes soit trouvée.

ESMS : le grand chambardement

Cette transition n'est pas seulement une question d'âge : elle implique un changement soudain de cadre et de prise en charge. Les jeunes passent alors de structures pédiatriques, souvent plus attentives et plus personnalisées, à des établissements pour adultes où les ressources et les moyens humains sont parfois insuffisants. « Ils sont trop souvent vus uniquement comme des porteurs de déficiences et non comme des personnes avec des potentialités », déplore le Pr Yelnik. Faute de personnel et d'activités adaptées, l'ennui et le sentiment d'isolement guettent, aggravant encore la vulnérabilité psychologique de ces jeunes et pesant lourdement sur les familles.

Le financement, lui, est un véritable casse-tête. « Le double financement des ESMS adultes devrait être supprimé », préconise l'ANM. Une simplification indispensable, selon elle, pour éviter les ruptures entre les structures enfants et adultes et fluidifier les parcours de vie.

Un projet de vie, pas juste un projet médical

En outre, « le projet de vie doit venir de la personne, pas seulement du projet médical décidé par l'établissement », exhorte Alain Yelnik. Le rapport appelle à « continuer à évaluer les compétences et les besoins » du jeune après 18 ans, en s'appuyant sur des évaluations « précoces, tracées, actualisées, détaillées et renouvelées », pour que le projet de vie reste dynamique et évolutif. Pour ce faire, les besoins en communication notamment doivent être au cœur des pratiques, et « les outils de communication alternative et améliorée (CAA) connus et utilisés dans tous les milieux ».

Soutenir les aidants et anticiper l'avenir

Parce que les parents-aidants sont souvent le seul repère stable dans un parcours semé d'embûches, le rapport insiste sur la nécessité de « reconnaître leur rôle essentiel et de les inclure systématiquement dans le parcours de soins ». L'enjeu ? Anticiper leur épuisement et renforcement leur accompagnement.

Autre point crucial : penser à l'après-parents. L'Académie recommande de « généraliser le recours au mandat de protection future pour anticiper la perte des parents-aidants ». Une mesure de précaution essentielle pour sécuriser l'avenir du jeune adulte.

Des structures intermédiaires pour les 15-25 ans

Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de « créer des structures intermédiaires pour les 15-25 ans », notamment pour les troubles du neurodéveloppement (TND) et le polyhandicap. Objectif : éviter les ruptures de parcours et soutenir une transition progressive et personnalisée. « Former les équipes adultes aux particularités des jeunes handicapés » est également un impératif, en s'appuyant sur des centres ressources et des équipes mobiles.

Une urgence collective

Ce rapport, destiné à être présenté à plusieurs instances clés telles que les ministères de la Santé et des Personnes handicapées, des Agences régionales de santé (ARS) et des Maisons départementales des personnes (MDPH), vise à sensibiliser aux défis que rencontrent les jeunes en situation de handicap sévère et à susciter des actions concrètes pour améliorer leurs conditions de vie et d'autonomie.

« Beaucoup a été fait, notamment en pédiatrie et pédopsychiatrie, mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir », rappelle Catherine Barthélémy, ancienne présidente de l'ANM, pédopsychiatre et spécialiste de l'autisme (C. Barthélémy préside l'Académie nationale de médecine). Et de conclure : « Le projet de vie est l'affaire de tous. Il doit permettre à chacun de ces jeunes de continuer à progresser, à vivre et à rêver ».

© Elnur / Canva

Partager sur :
  • LinkedIn
  • Facebook
  • Blue sky
  • Twitter
"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
Commentaires0 Réagissez à cet article

Thèmes :

Rappel :

  • Merci de bien vouloir éviter les messages diffamatoires, insultants, tendancieux...
  • Pour les questions personnelles générales, prenez contact avec nos assistants
  • Avant d'être affiché, votre message devra être validé via un mail que vous recevrez.