« Se lever le matin pour faire ce en quoi l'on croit dans un environnement choisi et adapté et participer à un projet de société qui me correspond et dans lequel j'aide les autres, ça n'a pas de prix. » Rémi Garcia et Mehdi Naji, tous deux en situation de handicap, ont trouvé la formule. Face à un taux de chômage qui atteint 12 % pour les personnes handicapées, soit près du double de la population générale, ces entrepreneurs ont fait un « choix radical » : ne pas chercher un emploi mais créer le leur. En avril 2025, ils fondent Handiscop, une société coopérative et participative (Scop) qui propose du matériel médical vendu par et pour les personnes en situation de handicap. Un modèle où ils deviennent acteurs des décisions et façonnent une entreprise qui leur ressemble.
La Scop, un modèle qui change la donne
Mais au fait, c'est quoi une Scop ? Une société où les salariés sont associés majoritaires et détiennent au moins 51 % du capital. Ils participent aux décisions stratégiques selon le principe « une personne = une voix », partagent équitablement les bénéfices et privilégient l'intérêt collectif sur le profit individuel. Concrètement ? « Les salariés deviennent acteurs des décisions. » « Ce modèle permet un partage de la valeur concret et structurel mais surtout des valeurs que nous insufflons dans l'ADN de notre entreprise : la solidarité, la proximité et l'inclusion », expliquent les fondateurs.
Pour Handiscop, cette gouvernance démocratique prend tout son sens. « Si les salariés sont majoritairement en situation de handicap, comme chez nous, la culture de l'entreprise et ses actions seront en cohérence avec ses membres », souligne Mehdi Naji. Fini les politiques d'inclusion pensées en haut lieu sans consulter les premiers concernés. Ici, ce sont les travailleurs handicapés eux-mêmes qui définissent les aménagements nécessaires et orientent la stratégie commerciale.
Répondre à une double réalité
Handiscop « entend répondre à une double réalité difficile : l'accès à l'emploi pour les personnes en situation de handicap et leur dépendance aux produits médicaux », résument Rémi et Mehdi. Le déclic ? L'expérience personnelle de Rémi Garcia. « En tant qu'ancien manager, je sais que chercher un travail dans ce domaine aurait été compliqué car il aurait fallu que l'entreprise accepte qu'une autre personne collabore : mon auxiliaire de vie professionnelle. Avec Handiscop, c'est l'opposé, l'organisation est prévue pour pouvoir travailler avec mes conditions spécifiques. »
Cette aventure entrepreneuriale et coopérative s'est révélée être un véritable vecteur d'émancipation. « Aujourd'hui, notre expérience nous a permis de devenir pionniers sur un marché en plein essor », se réjouissent les fondateurs.
Une organisation souple et sur mesure
La coopérative organise son travail de manière « ultra-flexible ». Chaque salarié peut travailler selon un temps choisi, adapté à son handicap et à son rythme de vie. Un travailleur lourdement handicapé peut ainsi être embauché à mi-temps, voire sur des « micro-temps de travail » : quelques heures par semaine seulement, par exemple pour des missions ponctuelles en communication événementielle. Cette souplesse permet d'intégrer des personnes qui seraient exclues d'un emploi classique à temps plein.
Les aménagements sont multiples. Pour tout ce qui relève de l'administratif, les salariés peuvent travailler de chez eux ou sur site, avec des horaires aménagés. La coopérative met également en place un accompagnement sur le lieu de travail avec des partenaires de transport PMR (personnes à mobilité réduite) et la compensation du handicap grâce à des aides techniques et/ou à des auxiliaires de vie professionnels.
L'expertise du « pair à pair »
Au-delà de l'emploi, Handiscop répond à un vide sur le marché du matériel médical. « De l'évaluation du besoin, en passant par l'accès aux droits, jusqu'à la délivrance du matériel puis de son service après-vente, les personnes en situation de handicap ont besoin d'une écoute et d'une proximité accrues », observent les fondateurs.
Et qui mieux qu'une personne handicapée pour comprendre ces enjeux ? « L'expérience vécue – en tant que consommateurs des produits –, les attentes fines liées à la typologie et aux conséquences du handicap au quotidien, et la pluralité des produits proposés par ce modèle entre pairs transforment radicalement l'expérience client », assurent-ils. Conseiller sur la gamme adaptée, orienter vers les bonnes marques, anticiper les difficultés du quotidien ou encore explorer l'innovation technologique : cette expertise de pair à pair dépasse largement le simple rapport commercial.
Un accompagnement décisif
Handiscop n'a pas construit son modèle seule. La coopérative a été accompagnée par Alter'Incub Occitanie, l'incubateur régional d'innovation sociale porté par l'Union régionale des Scop. « Ils nous ont aidé à structurer notre projet, challenger nos choix et nous ont permis d'avancer sereinement », reconnaissent Rémi et Mehdi. « Sans accompagnement, nous n'aurions pas eu cette vision aujourd'hui. »
Vers un agrément d'entreprise adaptée
Handiscop a déposé une demande d'agrément « entreprise adaptée », actuellement en cours d'instruction. « C'est un projet de société qui doit aboutir sur une cohérence de fonctionnement et d'image », indiquent les fondateurs. « Le statut d'entreprise adaptée profitera au développement – B to B, marchés publics, etc. – et à son image. Les travailleurs en situation de handicap de la Scop verront leur emploi et leur entreprise prospérer », précisent-ils.
Cette double casquette EA-Scop n'est pas anodine : elle combine les avantages économiques de l'entreprise adaptée (accès aux marchés publics, aides spécifiques) avec la gouvernance démocratique et émancipatrice de la coopérative. Le cocktail gagnant pour consolider l'emploi des personnes handicapées ?
Un modèle à essaimer
Et l'ambition de Handiscop ne s'arrête pas là. Après avoir débuté son activité par la livraison de consommables et la location de matériel médical, elle vise désormais l'ouverture de son premier magasin physique au premier semestre 2026. Puis, dans cinq ans, Rémi et Mehdi rêvent de développer leur modèle sur plusieurs magasins dans d'autres villes de France, regroupés sous une Scic (Société coopérative d'intérêt collectif) qui ferait office de maison mère.
Un modèle encore méconnu
Handiscop s'inscrit dans un mouvement plus large. Près de 50 structures coopératives engagées dans le handicap sont présentes en France. Ces entreprises adaptées ou socialement innovantes interviennent dans des secteurs variés : services à la personne, formation, industrie, recyclage, espaces verts, habitat ou travail temporaire. Elles représentent plusieurs centaines d'emplois directs.
Pourtant, leur visibilité reste très limitée. « Avant de me lancer dans ce projet, je n'avais jamais entendu parler des Scop ou Scic, avoue Mehdi Naji. Autrement, je pense que j'aurais commencé par chercher une entreprise coopérative. » Les deux entrepreneurs plaident pour davantage de sensibilisation auprès des CCI et CMA, afin que d'autres porteurs de projet puissent découvrir ce modèle émancipateur. Car le message de Handiscop est clair : quand les personnes handicapées reprennent le pouvoir sur leur emploi et deviennent actrices de leur parcours professionnel, « tout devient possible ».



