« Imaginez un monde où une personne sourde peut, en un instant, comprendre et répondre à une conversation téléphonique en toute autonomie et sans logiciel spécifique, ni abonnement payant. Où elle peut entendre sans entendre », invite Virginie Delalande, conférencière atteinte de surdité profonde. Un « rêve » devenu réalité grâce à l'intelligence artificielle. Dans une ère où cette technologie révolutionnaire fascine autant qu'elle inquiète, la quadragénaire a choisi son camp : « L'IA m'ouvre une liberté que je n'avais pas avant », témoigne-t-elle à l'occasion de la Journée nationale de l'audition du 13 mars 2025.
« Avant, j'étais dépendante d'une personne »
« Grâce à l'IA, j'ai enfin pu passer un simple appel téléphonique à mes enfants », se réjouit cette avocate. « Avant, je devais utiliser une solution payante mais certains appels ne pouvaient pas être pris en charge, comme des services clients ou des numéros à l'étranger. Derrière ce service, j'étais dépendante d'une personne physique, de ses horaires de travail », explique Virginie Delalande. Elle peut désormais, grâce à une application gratuite, contacter ses proches, aller au théâtre, au cinéma... « Je peux assister à toutes les formations que je veux, suivre en réunion, suivre des conversations entre amis. Ça me change la vie ! », s'enthousiasme la jeune femme.
Des outils qui favorisent l'autonomie
« L'IA a déjà fait plus pour les sourds en cinq ans que toutes les lois sur l'accessibilité en 50 ans », soutient-elle. Des outils essentiels favorisant l'autonomie ont effectivement vu le jour ces dernières années, tels que des sous-titres générés en temps réel, partout, et tout le temps ; une transcription écrite en direct des appels téléphoniques ; des assistants connectés adaptés au logement des personnes sourdes ou encore une voix qui prend vie sur l'écran pour effectuer une transcription en langue des signes instantanée.
Penser l'accessibilité comme une « norme fondamentale »
Le hic ? Parmi cette multitude d'innovations, certaines se développent sans être testées au préalable par les personnes qu'elles sont censées aider. Résultat : cela aboutit souvent à des outils inadaptés ou inutilisables, des biais discriminants invisibles mais bien réels et des barrières technologiques qui excluent au lieu d'inclure, pointe Virginie. « L'IA ne doit pas être un gadget pour cocher une case 'inclusion'. Elle doit être pensée sous le prisme de la diversité dès l'origine », alerte cette « coach motivationnelle ». Ainsi, Mme Delalande appelle les entreprises qui planchent sur le sujet à adopter l'accessibilité comme une « norme fondamentale et non comme une simple option », afin de garantir une réelle inclusion dès la conception des technologies. Les pouvoirs publics ont également, selon elle, un rôle à jouer, en posant un cadre règlementaire afin de garantir une accessibilité durable et universelle.
3 propositions pour une société plus inclusive grâce à l'IA
De ce fait, elle formule trois propositions pour rendre la société plus inclusive grâce à l'IA : le développement d'algorithmes intelligents capables de reconnaître et de sous-titrer toutes les voix, accents et intonations mais aussi d'une technologie qui isole et amplifie les voix dans le bruit ambiant pour faciliter la compréhension et le sous-titrage dans les environnements complexes. Ultime requête : le déploiement d'« oreilles augmentées » pour sécuriser et fluidifier la vie quotidienne : détection et traduction instantanée de sons essentiels à l'extérieur (klaxons, sirènes...) ou encore notifications en temps réel sur smartphone pour ne rien manquer des informations cruciales.
Un parcours brillant et inspirant
« L'IA, qui est parfois perçue comme un danger, est en réalité un espoir fou qui peut permettre une révolution de l'accessibilité », estime celle qui a été reconnue comme l'une des 40 françaises les plus inspirantes par Forbes en 2020. Il faut dire que son parcours force l'admiration. Alors qu'on l'avait réduite au silence - certains médecins étant persuadés qu'elle ne parlerait jamais -, Virginie persévère et prononce ses premiers sons, grâce à trois séances d'orthophonie par semaine. Après un bac S, elle poursuit des études de droit et devient la première avocate sourde profonde de France. En 2017, elle fait l'objet d'un documentaire, L'éloquence des sourds, réalisé par Laëtitia Moreau. Deux ans plus tard, elle participe au Grand Oral, un concours d'éloquence présenté par Laurent Ruquier sur France 2.
Son combat pour une société plus inclusive et tolérante
Désormais « conférencière internationale », Virginie milite pour une société plus inclusive, notamment dans le monde du travail, via son entreprise Handicapower, et aide « les personnes qui se sentent bloquées par des peurs ou des croyances limitantes à exploser leurs plafonds de verre et à se créer la vie qu'elles méritent vraiment ». Un destin épatant qu'elle retrace dans son livre Abandonner ? Jamais (éditions Kawa). Son credo ? « Différents ou non, nous avons tous en nous des trésors que nous pouvons mettre au service de chacun (particuliers, entreprises ou administrations, société civile). »
© Syda Productions