Inceste : comment accompagner l'enfant handicapé?

Face à l'inceste, le handicap s'avère un facteur de vulnérabilité supplémentaire qui, par ailleurs, complique la faculté à comprendre ou à dénoncer. Comment, dans ces circonstances, aider la victime ? Réponses d'un expert du psychotrauma de l'enfant

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Inceste sur les enfants handicapés, un sujet éminemment tabou. Alors que, ces derniers mois, la parole semble se libérer, l'association FDFA (Femmes pour le dire, femmes pour agir) appelle les personnes en situation de handicap qui en ont été victimes à témoigner via une enquête et le #incestehandicap (article en lien ci-dessous). L'objectif ? Dresser un état des lieux sur cet « angle mort » des violences. D'autant que le handicap s'avère un facteur de vulnérabilité supplémentaire qui, par ailleurs, complique souvent la faculté de la victime à comprendre ou à dénoncer. Comment, dans ces circonstances, accompagner l'enfant ? Réponses de Nicolas Gaud-Le Pierres. Pédopsychiatre, il possède une expertise sur les violences sexuelles et intrafamiliales chez les mineurs. Il est référent des troubles psychotraumatiques au CHU de Lille, responsable des urgences psychiatriques de l'enfant et de l'adolescent (UPEA) et de la filière enfant et adolescents du centre régional psychotrauma Hauts de France (CRP).

Un docu sur France 5

Pour info, le docu L'inceste ou la grammaire du silence (26 minutes), sera diffusé le 27 septembre 2021 sur France 5 à 9h15 dans le magazine en langue des signes L'oeil et la main. Que se joue-t-il chez les jeunes victimes qui restent dans le silence ? Comment dire les abus sexuels lorsque l'on est trop petit pour avoir des mots justes ? Et si en plus, on est sourd ? Deux victimes, un homme et une femme, aujourd'hui adultes, confient leur parcours et leurs blessures. La psychiatre Muriel Salmona, l'anthropologue Dorothée Dussy et Marie Rabatel, membre de la Commission sur les violences sexuelles et l'inceste, décryptent les mécanismes qui réduisent les victimes au silence. Tous disent l'importance de briser l'un des plus terribles tabous de notre société.


Handicap.fr : Recevez-vous des enfants en situation de handicap dans votre dispositif dédié aux urgences psychiatriques de l'enfant et de l'adolescent ?
Nicolas Gaud-Le Pierres : Nous en recevons assez peu, il y a manifestement moins de demandes d'aides. Mais ce n'est pas parce qu'on ne les voit pas qu'ils n'existent pas.

H.fr : Quels peuvent être les signaux d'alerte pour ce public ?
NGLP : En réalité, ce sont rarement des prises en charge dans l'urgence, au moment des faits, par exemple sur suspicion du médecin traitant ou des professionnels qui travaillent auprès d'eux ; les conséquences apparaissent souvent bien des années plus tard. Des enfants handicapés viennent consulter parce qu'ils présentent certains troubles, ce qui permet de révéler des blessures passées. Nous sommes alors amenés à faire un signalement et à alerter les autorités, avec l'appui des associations d'aide aux victimes et l'Aide sociale à l'enfance (ASE).

H.fr : Quelle est la particularité de votre centre situé à Lille ?
NGLP : Prendre en charge spécifiquement les éléments psycho traumatiques. Mais l'on sait qu'il y a de nombreuses atteintes associées dans le développement de l'enfant, à la fois sur sa personnalité, les relations avec les autres, sur la façon dont il gère ses émotions et ses comportements, sur l'estime qu'il a de lui-même, sur sa capacité à faire face à l'adversité. Pour aller plus loin et assurer une prise en charge globale, nous avons donc besoin de collaborer avec d'autres centres de consultation, type centres médico-psychologiques.

H.fr : Un enfant qui a un trouble mental, et parfois des capacités de compréhension plus limitées, est-il plus « protégé » des conséquences d'un inceste ?
NGLP : Non car, dans le psycho trauma, la question n'est pas le degré de compréhension. Justement, moins on comprend, plus cela peut être traumatique, avec des risques d'évolution graves. Lorsqu'on a vécu un événement traumatique, comme une agression sexuelle, un attentat ou un incendie, ce qui va permettre aux personnes de s'en sortir et ne pas développer de troubles, c'est la capacité de mettre de mots dessus et de comprendre ce qui se passe. Or l'incapacité à communiquer rend la compréhension des choses encore plus complexe, le traumatisme peut être aussi présent, voire même plus important. Ce sont des jeunes qui vont alors s'avérer plus vulnérables face au risque de développer des troubles de stress post-traumatique. Donc, non, ils ne sont pas du tout « protégés » par leur handicap et n'ont pas besoin de « comprendre » la violence pour la ressentir.

H.fr : Il faut donc leur permettre de s'exprimer à tout prix ?
NGLP : Bien sûr car, forcément, les choses vont dégringoler et exploser à un moment donné. Durant des années, ils ont vécu dans leur « normalité », c'est à dire qu'ils se sont adaptés à la situation par des mécanismes de défense divers et variés et, quand ils arrivent dans un milieu où cette situation n'est plus la « norme », leurs mécanismes d'adaptation ne sont plus les bons et ils doivent alors en retrouver d'autres pour s'ajuster à la vie. C'est souvent là que les symptômes apparaissent. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'impact avant...

H.fr : Lorsqu'ils sont non verbaux, comment les aider ?
NGLP : Il est important d'être attentif à un comportement ou des attitudes qui changent. Malgré le peu de demandes, nous avons les compétences pour travailler avec eux. Une psychomotricienne prend en charge les enfants non verbaux, qu'ils soient tout petits ou handicapés, de façon très spécifique, en ayant un abord psychocorporel.

H.fr : En cas de suspicion, comment permettre à l'enfant d'accéder à des soins ?
NGLP : En parler, c'est déjà primordial. Or il y a énormément de jeunes qui n'ont pas accès à des soins parce que les proches ne s'en rendent pas compte, parce qu'on leur dit qu'il vaut mieux ne rien ébruiter, parce que parfois les deux parents sont dans l'affaire. Je le redis, cette fameuse croyance « si on en parle, ça va créer un traumatisme » est délétère.

H.fr : Faut-il davantage sensibiliser les établissements médico-sociaux pour permettre aux professionnels de repérer certains signes évocateurs d'un inceste ?
NGLP : La préoccupation sur les violences faite aux mineurs est assez récente et commence à émerger seulement ces dernières années. Avant, l'information a été moyennement faite. Mais cela reste assez inégal sur le territoire, par exemple sur la question du psycho trauma. Nous sommes souvent sollicités pour des formations sur les violences sexuelles sur les mineurs et certains professionnels semblent complètement perdus. Il est donc important de continuer à faire de la sensibilisation, que ce soit dans les milieux sanitaires purs ou le médico-social. On a encore du travail...

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