Par Harumi Ozawa
"Avec ma personnalité, je ne peux que passer à l'étape suivante si je comprends parfaitement chaque détail", explique Shoko Sakuma à l'AFP. Cette Japonaise de 39 ans, diagnostiquée autiste, a eu du mal à se faire une place dans un cadre de travail "classique". Ayant aussi un trouble du déficit de l'attention (TDA), elle avait du mal à se concentrer dans son précédent emploi, un poste de comptabilité : elle s'emmêlait dans les chiffres, perdait des objets importants, était "obsédée" par des petits détails. Parfois sa situation d'échec la déprimait tellement qu'elle ne sortait plus de chez elle. Alors elle a choisi une autre voie...
Chez Shake hands, "on m'accepte comme je suis"
Aujourd'hui, elle travaille dans le studio d'animation Shake hands, à Kyoto (ouest du Japon), où elle ajoute des effets numériques à des images-clés dans un bureau cloisonné, une configuration spatiale qui l'aide à se concentrer. "Les instructeurs, ici, m'acceptent comme je suis, et m'apprennent (le travail, NDLR) avec beaucoup de douceur", apprécie-t-elle. "Je me sens à l'aise ici. Je m'amuse." Créé en 2023, Shake hands est l'un des premiers studios d'animation japonais adapté à des employés autistes.
"Pas de règles abstraites"
"Un film d'animation est basé sur ce que l'on appelle une feuille de temps, un plan qui commande chaque mouvement des personnages", expose Yuki Kawai, un formateur du studio âgé de 28 ans. "Il n'y a pas de règles abstraites quand on fait de l'animation (...) et c'est pourquoi c'est facile à comprendre pour des gens comme nous", dit-il. Lui-même a été diagnostiqué comme ayant un TDA durant une première expérience professionnelle -désastreuse- dans la vente, après avoir fini ses études d'art et de design. "Souvent je n'arrivais pas à me lever le matin ou à arriver à l'heure au bureau, raconte-t-il. Je n'arrivais pas à gérer des appels téléphoniques parce que je me trompais dans les noms des gens."
Des expériences qui impactent la santé mentale
Pour des personnes avec des troubles du spectre autistique (TSA), une telle expérience traumatisante peut déclencher des problèmes de santé mentale, alerte Yuji Umenaga, professeur de l'université de Waseda, à Tokyo, spécialiste du domaine. "Beaucoup de gens qui viennent me voir ont des symptômes de dépression, explique-t-il à l'AFP. Des antidépresseurs ne sont pas efficaces pour eux, parce que ce sont les symptômes des TSA qui rendent difficiles les relations avec les patrons et les collègues."
Environnement calme et bienveillant
Shake hands a déjà réalisé des séquences d'animation pour plusieurs films à gros budget, et une entreprise malaisienne lui a confié la production d'un film d'animation promotionnel. Une musique de fond entraînante rythme le travail de la petite dizaine d'employés du studio, qui perçoivent un salaire symbolique. "Dans un environnement calme, certaines personnes sont sensibles au fait que d'autres bavardent, et pensent qu'elles pourraient être le sujet de leurs conversations", justifie Momoka Tsuji, membre du personnel. Ceux qui sont trop absorbés par leur tâche -un problème courant- se voient rappeler qu'ils doivent faire une pause toutes les heures. Les employés du studio peuvent commencer et arrêter leur journée de travail quand ils le souhaitent, même tard dans la nuit. "Certains de nos collègues ne se sentent pas à l'aise pour avoir des conversations directes, alors nous communiquons par le biais d'une fonction de chat sur l'intranet", explique aussi Tomoya Sawada, 34 ans, directeur du studio.
Une meilleure prise en charge ?
Au Japon, les troubles du développement ont longtemps été considérés comme une simple affaire de personnalité mais des études scientifiques ont contribué, depuis le début des années 2000, à sensibiliser la société sur le sujet, à mieux prendre en charge ces personnes dès l'enfance et à augmenter le nombre d'entreprises adaptées dans le pays.
Un studio similaire aux Etats-Unis
Le professeur Umenaga espère que l'exemple de Shake hands fera des émules au Japon, à l'instar d'Exceptional minds, un studio d'animation californien fondé en 2011 qui forme des étudiants autistes. "Afin de faire briller leur merveilleux potentiel, nous devons leur fournir un environnement adéquat, de l'école à la formation professionnelle", plaide M. Umenaga.
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