Jeux para: pourquoi le handicap mental est-il sur la touche?

Aux Jeux paralympiques de Paris 2024, les athlètes avec un handicap intellectuel seront présents dans 3 disciplines seulement, ceux avec une trisomie... 0. Pourquoi le sport adapté est-il à la marge ? Comment briser les préjugés ? Réponses du patron.

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4 mains levées tiennent un carton rouge.

Handicap.fr : Les athlètes avec un handicap intellectuel peuvent concourir dans trois disciplines (natation, tennis de table, athlétisme) seulement aux Jeux paralympiques. Comment expliquer ces « blocages » ?
Marc Truffaut, président de la Fédération française du sport adapté (FFSA) : Remontons un peu le cours de l'Histoire... L'aventure paralympique débute en 1996 pour les athlètes avec un handicap intellectuel. Quatre ans plus tard, elle s'arrête brusquement à cause d'un scandale : l'équipe espagnole de basket adapté a recruté des joueurs « valides ».

L'aventure reprend en 2009. Tout un travail a été mis en place pour définir une éligibilité, afin de déterminer qu'un athlète présente bel et bien une déficience intellectuelle, ainsi qu'une classification, afin de démontrer qu'elle a bien un impact dans sa pratique sportive.

H.fr : D'autres types de handicap sont-ils représentés dans une seule catégorie ?
MT
: Non, le handicap intellectuel est le seul. Dès le début, il n'y a eu qu'une catégorie mais le nombre d'épreuves a augmenté au fil du temps. Le 400 mètres a par exemple été récemment ajouté en athlétisme.

H.fr : Les athlètes avec trisomie 21 sont, quant à eux, totalement exclus des Jeux. Pour quelle raison ?
MT
: Selon le Comité international paralympique (IPC), rien ne les interdit de participer aux Jeux. Toutefois, ce « sur-handicap » ne leur permet pas de réaliser les performances nécessaires pour se qualifier. Il y en avait à Londres en 2012 mais le niveau a beaucoup augmenté depuis...

H.fr : Pourquoi ne pas créer une catégorie dédiée ?
MT
: C'est aussi la raison pour laquelle il n'y a pas plus d'épreuves... C'est le Comité international olympique qui fixe le nombre d'athlètes présents aux paralympiques, dans le cadre des accords fixés avec l'IPC pour que les Jeux aient lieu au même endroit. Ainsi, à Paris, 11 000 athlètes participeront aux JO et 4 400 aux JP. Si on veut ajouter cette catégorie, il faut en retirer une (donc un autre type de handicap) ou une épreuve. Mais ce n'est pas du tout le but, qui est de rendre les Jeux les plus universels possibles. Ce numerus clausus limite les athlètes pour les Jeux d'été, tandis qu'ils ne sont toujours pas réintégrés aux Jeux d'hiver, où, là, il y a pourtant de la place...

H.fr : Pourquoi sont-ils encore exclus des Jeux d'hiver ?
MT
: Si j'étais un peu provoc', je dirais que c'est le résultat des politiques inclusives. C'est la structure qui a la gouvernance de la discipline qui peut décider d'ouvrir de nouvelles épreuves ou « classes ». Or, le Comité paralympique a transmis la gouvernance des para sports d'hiver à la Fédération internationale de ski (FIS) « valide ». Elle n'a visiblement pas envie, ni « les moyens », selon elle, de gérer une nouvelle catégorie dédiée aux sportifs avec une déficience intellectuelle. C'est le combat que nous menons actuellement, et que nous espérons remporter d'ici les Jeux d'hiver de 2030, qui se dérouleront dans les Alpes françaises. Si la FIS refuse d'ajouter des catégories ou des épreuves, nous tenterons d'obtenir la gouvernance des para sports adaptés.

H.fr : Quel est votre leitmotiv ?
MT
: L'objectif est de permettre aux personnes handicapées de concourir en toute équité. Le système actuel est discriminant et contraire au mouvement paralympique qui vise à inclure et tenir compte des spécificités de chacun.

H.fr : Etes-vous confiant ?
MT
: Plutôt oui, car les présidents de région, le Comité paralympique et sportif français et le ministère des Sports, revendiquent le fait de vouloir organiser, en 2030, les premiers Jeux « réellement universels ». Mais, ce qui est frustrant, c'est la temporalité. Quand on loupe le coche, il faut patienter quatre ans de plus...

H.fr : D'ici là, comment briser les préjugés à l'égard du sport adapté ?
MT
: Via une sensibilisation permanente, à laquelle s'attelle la FFSA et la Fédération internationale du sport adapté (Virtus), auprès des différents comités. L'enjeu est de démontrer que les personnes avec un handicap mental ou une trisomie 21 ont une vraie expertise et performent, comme les autres athlètes !

H.fr : Cette ambition fait écho au récent clip de l'ONG italienne CoorDown qui invite à « inverser nos perspectives sur la trisomie 21 ». Son credo ? « Suppose que je peux, peut-être que je pourrai. » (Lire : Trisomie 21 : clip coup de poing pour mettre les préjugés KO).
MT
: Exactement. Et on part de loin ! Je me souviens d'un ancien président de la Fédération qui disait : « On ne va quand même pas permettre aux personnes trisomiques de faire les Jeux, sinon quand elles se verront sur l'écran géant, elles arrêteront de courir pour faire coucou à la caméra ». Aujourd'hui encore, la FIS estime par exemple que c'est trop dangereux pour elles de prendre un télésiège.

H.fr : Quelle initiative avez-vous mise en place pour favoriser une « inclusion sociale durable » ?
MT
: Nous avons développé l'Académie du sport adapté afin d'aller au-delà d'une approche purement sportive et de permettre aux personnes en situation de handicap mental, psychique ou avec des troubles du neurodéveloppement de s'investir pleinement dans la vie de leur club, de leur comité, de leur ligue et de leur fédération. Cela répond à une forte demande pour devenir entraîneur, arbitre, dirigeant de club...

H.fr : Si vous êtes aussi engagé, c'est parce que vous êtes convaincus des bénéfices du sport pour les personnes avec un handicap mental.
MT
: Absolument. Quand j'ai débuté en 1996, je n'aurais jamais pu imaginer tout ce que le sport pouvait leur apporter, notamment au niveau de la confiance et de la capacité à revendiquer leurs choix. Dans le sport, on apprend aussi à perdre, à gagner, des valeurs utiles au quotidien. De même, le statut d'« athlètes de haut niveau » lève beaucoup de barrières et favorise le lien social car ils sont invités et reconnus. Le handicap passe au second plan, après le sport.

H.fr : Cette universalité, dont vous parliez, passe aussi par l'accessibilité des compétitions aux spectateurs avec un handicap mental...
MT
: Tout à fait, il est nécessaire de leur offrir un accueil adapté et de fournir une information accessible à tous. Les athlètes de l'Académie du sport adapté ont d'ailleurs été sollicités par Paris 2024 pour donner leur avis sur des affichages et la signalétique qui sera proposée lors des prochains Jeux. Plus généralement, avec la FFSA, nous avions notamment proposé, d'indiquer, dans le métro, la direction des monuments ou des lieux avec un logo. Les images parlent à tout le monde, peu importe la langue ou le handicap !

Découvrez plus d'info à ce sujet dans un second article : JOP2024 : handicap mental et sport, encore trop d'obstacles.

© Canva / DragonImages

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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