AFP : A la veille de la journée mondiale contre les mines antipersonnel, le 4 avril, quel message souhaitez-vous faire passer ?
Marion Libertucci : "La tendance est mauvaise. L'utilisation des mines antipersonnel était en baisse continue depuis des années. Nous étions passés de 20 000 victimes en 1998 à environ 3 250 sur la période juillet 2013-juillet 2014. Mais cet élan s'est inversé sur le dernier exercice (juillet 2014-juillet 2015). Le nombre de morts et blessés a grimpé à 3 700, ce qui représente une augmentation de 12%. Ce chiffre est en plus a minima. Si certaines victimes de mines sont bien enregistrées, on sait bien que nombre d'autres ne le sont pas. On n'a pas de données fiables dans beaucoup de pays".
AFP : A qui ou quoi cette hausse est-elle due ?
ML : Principalement aux groupes armés, qui les emploient, moins aux gouvernements. En Libye, ces groupes utilisent des stocks de mines de fabrication industrielle, qu'ils ont retrouvés (dans l'arsenal de Kadhafi, NDLR). Mais il y a aussi les engins explosifs improvisés, les mines artisanales, qui sont un vrai souci. Elles sont très difficiles à désamorcer car plus instables. A Kobané (nord de la Syrie), où nos équipes ont travaillé, il y avait de tout : des restes de bombes larguées par avion, qu'on pouvait trouver dans les gravats, des mines classiques, d'autres artisanales. Certains endroits avaient été piégés. Même des cadavres l'étaient ! Le niveau de pollution était incroyable. Nos démineurs n'avaient jamais vu cela avant.
AFP : Que faire alors pour limiter leur utilisation ?
ML : Il faut déjà souligner que nettoyer ces zones est un travail de fourmi qui prendra énormément de temps et demandera beaucoup d'argent. En Syrie, même si la paix se faisait demain, les gens ne pourraient pas rentrer chez eux car c'est trop dangereux. Il faudra faire attention aux pièges sur le chemin du retour lors des déplacements de population, éduquer les gens et notamment les enfants, qui sont attirés par les objets brillants, qui ont des formes bizarres, pour jouer avec. Ensuite, il faut que les Etats dénoncent fermement, sans frilosité, cette situation. Il ne faut pas que la vigilance se relâche. Cela fonctionne bien avec les armes à sous-munitions par exemple. Quand des pays sont pointés du doigt, ils se sentent stigmatisés et réduisent leur usage. Ailleurs, au Népal ou en Amérique latine, certains groupes armés se sont aussi engagés à ne plus utiliser de mines antipersonnel. Ça a été très efficace.
Propos recueillis par Joris Fioriti
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