« S'il n'y a pas de recherche sans patients, que deviendraient les patients sans les résultats de la recherche ? », formule de façon rhétorique Dominique Guillot. Le président d'Argos, une association nationale de personnes atteintes de troubles bipolaires et de leurs proches, était invité avec d'autres patients-experts en psychiatrie et des chercheurs, à témoigner lors d'une conférence organisée par la Fondation FondaMental à l'occasion de la Journée mondiale des troubles bipolaires, le 30 mars 2023. L'enjeu : présenter les progrès de la recherche en psychiatrie, un secteur certes en crise mais qui, pour autant, se distingue par ses fulgurantes avancées. Elles sont résumées dans le livre numérique « Troubles Bipolaires : les progrès de la recherche ». « Pour améliorer la compréhension des troubles, identifier des marqueurs biologiques du diagnostic et développer de nouvelles stratégies thérapeutiques, le soutien à la recherche sur les troubles bipolaires est essentiel », explique le professeur Marion Leboyer, directrice générale de FondaMental. Objectif, in fine ? Améliorer la prise en charge des patients, soit 40 millions de personnes dans le monde. Il s'agit donc d'« un immense enjeu de santé publique ».
Des centres experts « troubles bipolaires »
Treize ans après le lancement de ses premiers centres experts « troubles bipolaires », la Fondation FondaMental a pu constituer la plus grande cohorte mondiale de personnes concernées (4 000 au total), et mettre au point une grande base de données ad hoc. Deux de ses chercheurs font même aujourd'hui partie des dix premiers mondiaux dans le domaine des publications scientifiques sur les troubles bipolaires. Un programme de recherches en psychiatrie de précision intitulé « PEPR ProPSY » va également voir le jour prochainement (la date n'a pas encore été dévoilée car son obtention date de juillet 2022). « Elle permettra d'identifier des sous-groupes homogènes de patients bipolaires », d'après la Fondation, à l'aide d'outils numériques, de marqueurs biologiques et d'imagerie cérébrale.
Une espérance de vie réduite
D'autres études scientifiques sur la bipolarité ont ponctué cette année 2022. L'une des plus marquantes est probablement celle sur le vieillissement cellulaire accéléré. En résumé, l'espérance de vie est réduite de dix à quinze ans pour les personnes bipolaires, plus susceptibles de développer des comorbidités. Elles sont en effet touchées par le risque suicidaire : 30 % des patients feront une tentative de suicide et 10 % mourront par suicide. Elles sont également plus exposées au diabète, au cancer ou encore aux maladies cardiovasculaires. Le sommeil s'en trouve aussi impacté, fragmenté, détériorant la santé métabolique, cardiovasculaire et émotionnelle. Pour étudier ce vieillissement d'un point de vue biologique, Luana Spano, doctorante en biologie moléculaire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a observé la longueur des « télomères », des régions de l'ADN qui se situent à l'extrémité de chaque chromosome et qui les protègent de l'érosion liée à l'âge. La jeune chercheuse a ainsi montré qu'il existe un sous-groupe de patients jeunes (d'environ 30 ans) qui présentent déjà des marqueurs altérés (proches des niveaux observés chez des sujets âgés d'environ 50 ans).
Une réponse thérapeutique adaptée au patient
De quoi inquiéter Maxime et Victoria, co-fondateurs de La maison perchée, une association qui vient en aide aux jeunes avec des troubles psychiques. « J'ai 29 ans et je suis en plein questionnement sur la parentalité », explique la jeune femme. Maxime, quant à lui, se dit « rétabli » grâce à un traitement qui lui correspond désormais, mais à quel prix ? Le jeune homme subit des effets secondaires particulièrement invalidants, notamment au niveau des reins. « On compte donc encore beaucoup sur la recherche », interpellent-ils. Mieux identifier les facteurs déclenchants de la maladie, environnementaux (traumas ou infections) ou encore génétiques et immunologiques, devrait permettre de mieux cibler la réponse thérapeutique adaptée à chaque patient. Les nouvelles technologies constituent en ce sens un levier d'action intéressant. « Actuellement, nous cherchons à évaluer si l'imagerie cérébrale associée à des méthodes d'apprentissage automatique pourrait améliorer le diagnostic des troubles bipolaires », explique Pauline Favre, chercheuse à l'Inserm. Grâce à la neuro-imagerie, elle étudie les effets de la psychoéducation, une discipline qui informe les patients et leurs proches sur les troubles psychiatriques, visibles selon l'activité de la région cérébrale stimulée. « Une technique qui s'est déjà montrée efficace sur les symptômes dépressifs et qui pourraient faire ses preuves sur la bipolarité », précise Pauline Favre. « Les résultats de l'étude devraient être observables d'ici un an ou deux », poursuit-elle.
Une appli qui délivre une psychoéducation personnalisée
Sur le même créneau « psychoéducatif », l'Institut de neurosciences de Barcelone, à l'origine du premier guide de psychoéducation dans les troubles bipolaires, a développé l'application « SIMPLe », qui permet d'évaluer et enregistrer les symptômes d'un patient pour « délivrer une psychoéducation personnalisée ». A terme, l'usage de cette « appli » devrait permettre de « montrer tous les bénéfices en termes de prévention de nouveaux épisodes maniaques ou dépressifs », détaille Ludovic Samalin, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Sans même l'avoir testée, Dominique Guillot voit dans cette approche une manière de mieux appréhender la maladie : « La connaissance éloigne de la peur », affirme-t-il.