En vue des élections présidentielles de 2017, handicap.fr souhaite donner la parole à tous les candidats aux primaires des grands partis, ainsi qu'aux candidats déclarés, sur leur politique handicap. Nous leur avons soumis le même questionnaire, par écrit, et publions les réponses telles qu'elles nous ont été rendues, sans retouche.
Handicap.fr : Contrairement aux élections précédentes, plusieurs candidats aux prochaines présidentielles semblent vouloir davantage s'exprimer sur la question du handicap. Certains politiques auraient-ils pris conscience que 10% de la population, c'est un électorat qu'on ne peut pas se permettre de négliger ?
Alain Juppé : Comme vous le soulignez, le handicap est une réalité vécue, souvent de manière invisible pour les autres, par environ dix millions de personnes. Leur vie quotidienne demeure marquée par de grandes difficultés dans l'accès aux lieux, aux prestations et aux droits. C'est notamment le cas à l'école, dans l'enseignement secondaire et supérieur, ainsi que pour la formation professionnelle. Pour les adultes, le manque d'intégration dans le monde du travail constitue toujours un obstacle majeur à l'exercice plein et entier de la citoyenneté. Les progrès à accomplir sont immenses.
J'ai voulu mettre l'accent sur le handicap, aussi, parce que nos sociétés ont encore du mal à admettre la vulnérabilité et le handicap ; la façon dont nous l'acceptons et le prenons en compte est essentielle pour l'équilibre de notre société et la maturité de notre démocratie ; la façon dont sont traitées les différences, toutes les différences, en dit long sur l'égalité et sur la citoyenneté.
Les réflexions et les propositions que je vous livre aujourd'hui sont le fruit des échanges que j'ai eus au fil de mes déplacements et de mes rencontres. Nous en discuterons au cours des prochains mois, avec les personnes en situation de handicap et leurs associations, et à l'occasion d'une grande Conférence nationale dès le début de mon mandat, si les Françaises et les Français m'accordent leur confiance.
H.fr : Dans cette primaire, qu'est-ce qui vous distingue des autres candidats LR sur la question du handicap ?
AJ : Je veux, très clairement, me situer dans le prolongement de l'action de Jacques Chirac. La politique pour les personnes en situation de handicap a un nom et un seul : Jacques Chirac. Je pense aux grandes lois de 1975, de 1987 et de 2005, bien sûr, mais aussi à la philosophie qui les inspire. Je veux leur reconnaître un droit général à l'autonomie et à une pleine participation, à égalité avec les autres, et franchir une nouvelle étape dans la construction d'une société inclusive.
H.fr : Quelle seraient vos mesures phare en matière de handicap si vous accédiez au pouvoir ?
AJ : Pour moi, la loi de 2005 n'est pas un point d'arrivée, c'est un point de départ. Il faut, d'abord, transformer les regards- individuels et collectif - sur le handicap, informer et former. Pour cela, il faut lever le voile sur le handicap ; chaque année, un rapport détaillé sur les conditions de vie des personnes handicapées sera rendu public. Il sera présenté et discuté au Parlement.
Je veux ensuite rendre les personnes en situation de handicap beaucoup plus libres de leur choix. Et cela en partant de leurs besoins effectifs, non de l'offre existante. Pouvoir vivre à son domicile est naturellement l'un des projets partagés par la très grande majorité. A l'opposé de ce que fait le Gouvernement actuel - hausse de la fiscalité, accroissement des contraintes, augmentation de la tarification -, il faut renforcer une aide professionnalisée et adaptée aux besoins des personnes, et soutenir l'emploi à domicile. Il faut aussi inventer des lieux de vie innovants, pour sortir de la seule alternative entre domicile ou établissement, qui n'est pas toujours adaptée. Pour autant, nous devons aussi rattraper notre retard pour l'accueil en établissement ; un plan sera établi à partir d'un dialogue avec les associations, en se basant sur l'analyse des besoins sur les territoires. C'est le cas pour la prise en charge de l'autisme, mais pas seulement. A l'image de ce qu'a fait Jacques Chirac pour le cancer, je veux d'ailleurs créer, avec les associations, un Institut national de l'autisme, pour développer la recherche et améliorer vraiment les conditions actuelles de prise en charge.
Je veux aussi simplifier la vie des personnes en situation de handicap. Alors que partout en Europe la reconnaissance d'un handicap ouvre droit à diverses prestations, la France impose quatre demandes différentes de reconnaissance du handicap : la RQTH pour l'emploi, la PCH pour l'aide compensatoire, la demande d'AAH pour le revenu minimum, la demande d'orientation professionnelle pour obtenir une orientation vers le marché du travail ou vers le secteur protégé. Pour une entreprise souhaitant embaucher, c'est aussi un parcours du combattant. Il faut drastiquement simplifier tout cela.
Par ailleurs, les propositions faites à la personne en situation de handicap - notamment pour les enfants et les jeunes - doivent prendre en compte la proximité, par exemple en indiquant une durée d'éloignement maximum. Le fonctionnement des MDPH doit être amélioré, le traitement des demandes accéléré. Il faut aussi aller vers l'égalité des droits partout sur le territoire.
Nous devrons aussi faire évoluer nos politiques en fonction des besoins nouveaux avec, par exemple, l'augmentation de l'espérance de vie des personnes en situation de handicap, l'irruption des nouvelles technologies et du numérique, et beaucoup mieux répondre aux besoins des personnes souffrant d'un handicap psychique.
H.fr : Faut-il réellement jeter la pierre au gouvernement de Manuel Valls en matière d'accessibilité des lieux publics quand il hérite d'une situation qui a pris du retard sous d'autres majorités que la sienne ?
AJ : Il n'y a pas de participation sans accessibilité. Cela concerne les personnes en situation de handicap - quelle qu'en soit la nature -, mais aussi bien d'autres : les familles avec de très jeunes enfants, les personnes âgées, les personnes accidentées. La loi de 2005 avait arrêté la date limite de 2015. Elle n'a pas été tenue. Le gouvernement actuel a arrêté un nouvel agenda. On n'y reviendra pas. Mais on peut être beaucoup plus efficace en mobilisant les ressources de la loi de 2005.
La promotion de l'accessibilité doit être abordée à travers sa finalité, c'est à dire l'usage, l'accès de tous, plutôt que par la seule norme. Et il faut prendre en considération tous les atouts, en termes d'attractivité et de dynamisme, associés à des lieux de vie collective ou d'entreprises accessibles. Elle doit être envisagée au regard, non seulement ses bénéfices pour chacune et chacun d'entre nous, mais pour la société tout entière. Elle doit faire l'objet d'une mobilisation nationale renouvelée.
L'accessibilité est un domaine où le champ de l'innovation est vaste, avec des enjeux sociaux et économiques : rendre plus simple la vie de tous les jours, faciliter l'autonomie, apporter des solutions de travail, de partage et de communication, créer de nouveaux produits, et cela au bénéfice de tous.
H.fr : Parce que l'école est le nerf de la guerre en termes d'inclusion, que faire pour améliorer la scolarité des enfants handicapés ?
AJ : Les progrès accomplis sous l'impulsion de Jacques Chirac doivent être amplifiés et prolongés : l'inclusion ne doit pas s'arrêter à l'école ! Elle doit aussi être la règle au collège, au lycée et à l'université. L'accessibilité y suppose des changements profonds, comme la formation du corps enseignant ou la prise en compte des besoins spécifiques : les transports, le logement, un besoin éventuel d'accompagnement ou d'adaptation du rythme des études universitaires, ou de soutien lorsqu'il s'agit de trouver un stage.
En outre, de l'école au lycée, beaucoup de dispositifs existent sur le papier mais pas dans les faits ; il faut les rendre effectifs. La formation initiale des enseignants sur la scolarisation des enfants et adolescents à besoins particuliers est primordiale ; elle doit être encore renforcée.
Je veux aussi que, dans chaque MDPH, il y ait un interlocuteur identifié « Éducation ». Celui-ci serait chargé d'anticiper les parcours, d'étudier avec les services les conditions concrètes des accueils à mettre en place et de mener une évaluation approfondie des besoins de l'enfant tout au long du parcours scolaire, en créant du lien entre l'enseignant référent et l'équipe pluridisciplinaire de la MDPH.
Pour assurer la meilleure scolarité possible aux enfants et aux jeunes, l'Éducation nationale devra mettre en place les mesures appropriées telles que l'accompagnement systématique des familles, l'accueil à l'école maternelle dès lors que les parents en font la demande, l'adaptation individuelle des cursus et des rythmes scolaires, une meilleure adaptation des méthodes et outils pédagogiques, ainsi que l'instauration d'un dispositif de soutien pour tout enseignant qui accueille un enfant ou un adolescent ayant des besoins spécifiques.
H.fr : Parce que le chômage des personnes handicapées est deux fois supérieur à la moyenne nationale, quelle serait votre mesure prioritaire ?
AJ : Pour toutes les personnes en situation de handicap qui le peuvent, la priorité, ce doit être l'emploi en milieu ordinaire, en leur donnant tout l'appui et l'accompagnement nécessaires. Et en mettant le paquet sur la formation professionnelle car il y a beaucoup de retard. Il faut aussi vaincre des barrières culturelles. Mais cela ne suffira pas. Il faut améliorer notre législation. D'abord, je veux ajouter l'incitation à la seule contrainte pour les entreprises. La sous-traitance doit être une modalité de participation opérationnelle à l'emploi des personnes handicapées, non une échappatoire à l'obligation d'emploi ! Je veux organiser davantage de fluidité entre entreprises, établissements et services d'aide par le travail, et les entreprises adaptées. Avec, toujours, un droit au retour au profit de la personne si son projet de mobilité n'a pu se réaliser dans de bonnes conditions pour elle. Enfin, il faut un seul fonds pour le développement de l'insertion des personnes handicapées au lieu de deux aujourd'hui, l'Agefiph pour le secteur privé et le Fiphfp pour le secteur public.
Si elle le souhaite, la personne en situation de handicap pourra se voir attribuer un budget personnel pour l'emploi correspondant à l'équivalent des dépenses engagées en sa faveur si elle était en établissement pour lui laisser le soin de « financer », en quelque sorte, son emploi en milieu ordinaire. Je pense aussi nécessaire de promouvoir la prévention en entreprise, et notamment celle du licenciement, afin que puissent être étudiées l'ensemble des actions susceptibles de l'éviter ou d'en atténuer la portée à travers des solutions de reclassement.
C'est en agissant sur toute la chaîne de l'emploi - formation initiale et continue, incitations faites aux entreprises, prévention, accompagnement des personnes, simplification des procédures - que nous pourrons faire cesser ce scandale de la mise à l'écart de tant de personnes en situation de handicap qui peuvent et veulent travailler. C'est aussi en confortant les milieux adapté et protégé, qui jouent un rôle indispensable pour tant d'entre elles.
H.fr : Les Républicains avait la particularité d'être le seul parti à avoir un mouvement associatif militant comme Handipop, qui portait la parole des personnes handicapées. Aurait-il disparu ?
AJ : Pas de réponse.
H.fr : Contrairement aux candidats américains qui n'ont pas brillé par l'accessibilité de leur campagne, comptez-vous faire un effort dans ce sens, par exemple vélotypie lors des conférences, sites internet aux normes, accessibilité des meetings, pour que les personnes handicapées puissent elles aussi prendre part au débat démocratique ?
AJ : Pas de réponse.