L'école : un parcours du combattant pour ces ado handicapées

Préjugés, obstacles économiques, salles inaccessibles, exposition accrue aux violences... Handicap international expose les freins qui limitent l'accès à l'école des filles handicapées dans certains pays d'Asie et d'Afrique. Rapport alarmant.

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Une élève népalaise au tableau.

Seules « 41,7 % des filles handicapées terminent l'école primaire dans le monde », contre 50,6 % des garçons handicapés et 52,9 % des filles « valides ». À l'occasion de la Journée mondiale de l'éducation du 24 janvier 2025, Handicap international publie un rapport intitulé "Au-delà de l'accès : assurer la continuité de l'éducation pour les adolescentes handicapées"Basé sur 117 entretiens menés avec des jeunes et leurs parents au Népal, au Rwanda et au Sénégal, ce document met en lumière les obstacles rencontrés et les leviers à mobiliser pour permettre à ces jeunes de poursuivre et progresser dans leur parcours scolaire.

L'adolescence, une période de transition critique

Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, 40 % des enfants handicapés ne sont pas scolarisés au niveau primaire et 55 % au niveau secondaire inférieur (selon une étude de l'UNICEF de 2021). Malgré les engagements internationaux et nationaux pour une éducation inclusive, la réalité reste « préoccupante », constate l'ONG, qui pointe une recrudescence de ces disparités à l'adolescence. Dans certains pays d'Afrique, à cette période, les jeunes filles en situation de handicap doivent faire face à « des obstacles supplémentaires tels que les mariages précoces et forcés, les charges domestiques ou encore les violences, ce qui accroît leur vulnérabilité au décrochage scolaire ».

Des violences accrues

Elles sont, en effet, régulièrement la cible d'abus, de harcèlement, de violences psychologiques, physiques ou basées sur le genre. Le risque de violences domestiques est deux fois plus important que pour leurs pairs « non handicapées ». Elles sont aussi particulièrement vulnérables à la violence sexuelle, tant à l'école qu'en dehors. Dans certaines communautés, celles vivant avec un handicap intellectuel ou atteintes d'albinisme sont prises pour cibles en raison d'un mythe selon lequel les rapports sexuels avec ces filles apporteraient de la richesse ou du pouvoir, ou permettraient même de guérir de certaines maladies comme le sida.

Des préjugés qui mènent à l'isolement et à la dépression

Un nombre terrifiant de préjugés circulent à leur encontre, parfois alimentés par les proches eux-mêmes. « Chaque fois que ma fille quitte la maison des voisins, ils nettoient immédiatement l'endroit où elle était assise avec de l'eau. Cela me blesse. Ma fille n'a pas de maladies contagieuses pour être traitée de cette manière », témoigne une mère au Népal. Et ces stigmatisations n'entâchent pas seulement la vie des personnes concernées : les familles sont souvent exclues des activités communautaires comme les repas collectifs et les réunions de quartier, ce qui les isole encore davantage. « Les filles handicapées intériorisent souvent ces préjugés sociétaux, ce qui entraîne un manque de confiance en soi et un sentiment de désespoir », déplorent les auteurs du rapport. Une jeune népalaise de 12 ans raconte par exemple que son amie aveugle exprime fréquemment des pensées suicidaires car elle se sent « inutile dans la vie ». Ce manque d'estime peut drastiquement diminuer leur motivation à poursuivre leurs études.

Ressources économiques : les fils « valides » priorisés

De même que les obstacles économiques, car « les familles aux ressources limitées privilégient souvent les dépenses liées aux soins, à la santé et à l'éducation des fils plutôt que des filles handicapées ». De plus, le fait de garder ces dernières à la maison pour aider aux tâches ménagères est souvent considéré, à court terme, comme « plus rentable » que d'investir dans leur éducation. « Je connais deux filles handicapées qui ne sont jamais allées à l'école. La mère a fini par les persuader qu'elles ne pouvaient pas réussir dans la vie. Les parents préfèrent les garder à la maison pour les protéger des éventuelles violences. Ils cultivent un sentiment d'impuissance chez leurs filles qui ne sont pas du tout socialisées », confie une jeune Sénégalaise « valide ».

Des écoles et des cours peu accessibles

Ces contraintes économiques sont aggravées par le coût des aides techniques et du matériel spécialisé dont la plupart d'entre elles ont besoin pour accéder à l'école. « Bien que certains programmes offrent un soutien temporaire en proposant des dispositifs tels que des fauteuils roulants ou des lunettes, ces interventions sont souvent insuffisantes ou de courte durée », indique le rapport de 18 pages. En effet, de nombreuses écoles manquent de méthodes d'enseignement inclusives, de salles de classe accessibles, d'espaces de jeux adaptés, ce qui entraîne un taux d'absentéisme et d'abandon plus élevé chez les filles handicapées. Une jeune Népalaise malvoyante explique qu'elle doit compter sur ses amis pour lire les indications au tableau car les professeurs les lisent rarement à haute voix. Pendant les examens, elle dispose de 20 minutes supplémentaires « mais cela est souvent insuffisant car l'écriture en braille prend plus de temps que les méthodes traditionnelles ».

De la nécessité de former les professeurs

A contrario, « lorsque les professeurs sont formés et soutenus pour enseigner avec des méthodes centrées sur l'élève et faire en sorte que les capacités et les difficultés uniques des apprenants soient pris en compte, tous les élèves en bénéficient et s'épanouissent », assure Handicap international. Au Rwanda, une « ado » avec un handicap physique révèle que les encouragements de ses professeurs ont été d'une aide précieuse : « Même si quelques élèves se moquent de moi et me brutalisent, je ne me laisse pas affecter. Je reste confiante, et c'est ce qui m'a permis de réussir ».

L'hygiène menstruelle et la santé sexuelle bafouées

De même, dans de nombreuses écoles, l'absence de toilettes accessibles et séparées par genre constitue un obstacle majeur, en particulier pendant les menstruations. La gestion de l'hygiène menstruelle est d'ailleurs entravée par des croyances préjudiciables aux filles handicapées, souvent considérées comme asexuées ou non concernées par les problèmes de santé menstruelle, sexuelle ou reproductive. Résultat : elles bénéficient d'un accès limité à l'éducation et aux ressources sur ces questions pourtant centrales dans la vie d'une femme.

Une éducation accessible à toutes pour favoriser l'estime de soi

Face à ces constats accablants, Handicap international appelle à des actions concrètes dans quatre domaines prioritaires : changer les croyances néfastes liées au handicap et au genre, créer des environnements éducatifs accessibles et inclusifs, garantir la protection et la sécurité des adolescentes et, enfin, soutenir et autonomiser les familles et les communautés, se disant convaincu que l'éducation a « un impact considérable sur les individus et leurs communautés ». « Pour les filles handicapées, elle améliore l'estime de soi, les perspectives de vie et l'indépendance économique, tout en réduisant la dépendance à l'égard des aidants et en améliorant le bien-être de la famille. À l'inverse, le manque d'éducation des filles, en particulier en situation de handicap, met en évidence les déficiences systémiques des systèmes éducatifs », poursuit l'ONG. « Ce n'est qu'en adoptant une approche globale et intersectionnelle que nous pourrons garantir à ces jeunes la possibilité d'apprendre, de s'épanouir et d'atteindre leur plein potentiel », conclut-elle.

© P. Gairapipli / HI 

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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