« Un vendredi, ma vie a basculé en revenant du travail. Dans la journée, ma femme a décidé d'arrêter de se battre et a mis fin à ses jours. Elle n'a laissé aucun mot et n'a rien pris pour l'aider (ni alcool ni médicaments), elle était au bout de ce qu'elle pouvait donner. » Cette trentenaire était terrassée par des migraines depuis l'enfance. Durant cinq ans, Nicolas a partagé son quotidien, rythmé par des crises, des douleurs et une fatigue omniprésente, qui l'ont conduite à « l'impensable »...
15 % des migraineux songent au suicide
Malheureusement, elle n'est pas un cas isolé. 15 % des migraineux ont songé au moins une fois au suicide, selon une étude de l'association La voix des migraineux de 2020. Lire l'article complet sur l'impact du manque de prise en charge de la migraine : 47 % des migraineux ont songé au suicide : SOS!. Pour mettre fin à ce fléau, Nicolas livre un témoignage bouleversant afin de mettre en lumière le quotidien de 10 millions de Français et d'interpeler le secteur médical et les décideurs : « Un traitement à 1 000 euros par mois est-il réellement trop cher pour sauver une vie ? »
Impossible de bouger ni même de manger
J'avais 25 ans et ma femme 22 lorsque nous nous sommes rencontrés. Nous étions dans le même service. Elle m'a très rapidement informé qu'elle était migraineuse pour que je puisse comprendre la raison de ses absences. C'est elle qui m'a fait réaliser à quel point c'était handicapant. La fréquence des crises était variable, entre 4 et 5 par mois en hiver et 8 à 10 en été. Elles pouvaient durer quelques heures comme plusieurs jours. Lorsqu'elles étaient assez espacées, nous arrivions à avoir un semblant de vie normale. Lorsqu'elles étaient rapprochées, nous évitions de prévoir trop de choses, de peur de devoir annuler au dernier moment. Il y avait en permanence cette épée de Damoclès empêchant de réellement profiter de la vie. Au sommet des crises, elle devait rester couchée et s'isoler du bruit au maximum. Se relever, pour aller aux toilettes ou essayer de manger, était horrible.
Un conjoint impuissant et épuisé
Lorsqu'elle était en crise, j'avais un énorme sentiment d'impuissance. J'essayais de lui masser la nuque, le crâne afin de faire baisser la douleur quelques secondes. Je passais des heures à ne pas savoir quoi faire, à éviter au maximum de faire du bruit. Je mangeais régulièrement, seul, à l'écart, dans la cuisine afin qu'elle puisse se reposer dans le salon. Mon moral s'en trouvait énormément impacté, j'étais épuisé en permanence et n'arrivais plus à être positif.
Traitements obsolètes
Depuis notre rencontre, j'ai vu ma femme être suivie par différents neurologues et médecins généralistes, certains récalcitrants à lui délivrer des arrêts de travail, malgré son ALD, lui conseillant d'aller voir un psy ou de faire du sport, comme une solution miracle. Elle a testé plusieurs traitements, de fond et de crise, avec des effets secondaires notables, ainsi que des solutions alternatives (ostéopathie, hypnose, médecine chinoise, CBD), à ses frais... Au début, elle avait un traitement nasal qui cassait systématiquement la migraine, malheureusement, avec le temps, il avait de moins en moins d'effet.
Une maladie prise à la légère, moquée
Face aux douleurs et au manque de solutions, les arrêts de travail étaient de plus en plus fréquents. Son dernier employeur était extrêmement bienveillant, l'avant-dernier était à l'opposé, la menaçant de licenciement pour inaptitude. La peur de perdre son emploi l'avait vraiment affectée et renforcé son sentiment d'être incomprise. Ça m'a fait comprendre que ce mal n'était pas pris au sérieux, voire moqué. Durant une hospitalisation, les équipes médicales lui ont volontairement administré un placébo en intraveineuse afin de vérifier si elle mentait sur sa douleur. Régulièrement, elle me disait « j'aimerais qu'on me trouve une tumeur au cerveau, au moins on me prendrait au sérieux ».
Un traitement « miraculeux »... mais inaccessible
Elle a pu faire partie des essais cliniques d'un anti-CGRP (ndlr, un antimigraineux) durant un an. Les résultats ont été miraculeux, les crises étaient divisées par deux, voire trois. C'était inespéré, ma femme a pu revivre grâce à ce traitement. Malheureusement, à la fin de l'essai clinique, il n'était disponible que dans les pays limitrophes au prix de 500 euros. Il lui en fallait deux par mois, ce montant exorbitant l'a empêchée de poursuivre, ça a été le début de la chute...
Aucune prise en charge possible
Le fait de savoir qu'un traitement était efficace sans pouvoir se l'offrir était pire que tout. Elle a fait plusieurs dossiers, à l'Assurance maladie ainsi qu'à sa mutuelle pour demander une prise en charge, même partielle. La mutuelle acceptait de participer à condition que l'Assurance maladie participe. Cette dernière a refusé la prise en charge environ un mois avant son geste.
Des dépenses « absurdes »
L'Assurance maladie, mutuelles et assurances diverses préfèrent donc payer
· des dizaines de consultations chez un médecin généraliste dans le seul but d'avoir un arrêt de travail,
· des dizaines d'arrêts de travail de plusieurs jours pour elle,
· un arrêt maladie de plusieurs mois pour moi,
· des hospitalisations pour sevrage médicamenteux,
· un suivi psychologique,
· un capital décès de 4000 euros,
· une prévoyance décès de plusieurs dizaines de milliers d'euros,
plutôt que 1 000 euros par mois de traitement.
La migraine gâche des vies, celles des malades mais aussi de leurs proches. La sensibilisation doit avoir lieu, les migraineux doivent être écoutés. Et soignés.
© Photo d'illustration générale / Canva