DERNIERE MINUTE DU 14 OCTOBRE 2021
« Un jour de janvier 2008, ma vie a basculé dans une dimension singulière : celle de la maternité et celle, plus inattendue, d'un monde parallèle au nôtre où le sang, la peur, les larmes et l'amour forment un étrange ballet (...). J'ai alors découvert l'univers hospitalier, où le pire côtoie le meilleur, où la vie apparue dans un fracas frémit d'emblée face aux ombres du Styx, où l'on se bat à armes inégales, où il faut sans cesse lutter pour apprendre à se faire entendre. » « Ma fille, a filé dans nos cieux. Trop tôt, juste avant ses 12 ans. Malgré tous les Everest qu'elle avait gravis depuis sa naissance (...) »
Un livre pour alerter sur le manque d'écoute
Dans son livre, Lou, Mes combats pour sauver ma fille (éditions Robert Laffont), en librairie depuis le 30 septembre 2021, Stéphanie Les Solières revient sur la nuit du 22 décembre 2019, lorsqu'elle a perdu sa fille à cause d'une série d'erreurs de diagnostic. Elle espère ainsi, par ce témoignage, sensibiliser sur « la difficulté et la solitude » des parents qui accompagnent un enfant en situation de handicap mais aussi « alerter sur la nécessité absolue, pour certains médecins, d'écouter les patients et les parents ».
ARTICLE INITIAL DU 2 MARS 2020
« Lou était courageuse, vive, déterminée. Scolarisée en milieu ordinaire, elle faisait face, avec beaucoup de dignité, aux discriminations, aux maladresses d'une société qui n'est pas à l'aise face au handicap... Jusqu'au 22 décembre 2019, où elle est décédée au sein du service de réanimation d'un grand hôpital pédiatrique. » Deux mois après son décès, sa mère, Stéphanie, témoigne des « dysfonctionnements médicaux » qui ont emporté sa fille de 11 ans. « Un second loupé médical, après un retard de diagnostic à la naissance, qui aurait pu contribuer à une infirmité motrice cérébrale, condamnant Lou à se déplacer en fauteuil roulant. »
10/10 sur l'échelle de la douleur
Le 6 décembre, Lou est prise de douloureux maux de ventre, vomit et a 38 de fièvre. « J'ai d'abord pensé à une gastro et l'ai gardée à la maison », se souvient sa mère. Mais, deux jours plus tard, la douleur est toujours aussi intense. « J'appelle SOS médecin qui, songeant à une colique néphrétique, recommande de faire une radio de l'abdomen aux urgences », explique-t-elle. A 14h30, elles arrivent aux urgences. Le début du « calvaire »... Lou se tord de douleur et évalue son intensité à 10/10. Elle devra pourtant patienter plus de trois heures en salle d'attente. Pendant ce laps de temps, « j'ai essayé plusieurs fois d'attirer l'attention du personnel sur sa souffrance. En vain. De jeunes patients, arrivés après elle, étaient pris en charge avant. Pourquoi ? », questionne sa mère. « Lou est enfin examinée mais le praticien se limite à une simple palpation de l'abdomen, une auscultation de son cœur et de sa gorge et conclut à une angine virale. Pas de prise de tension, pas d'imagerie, ni même de prise de sang, malgré mes sollicitations, poursuit-elle. Nous rentrons chez nous avec une prescription pour du Doliprane. »
Prise en charge tardive
Le lendemain, même combat. Après cinq heures d'attente « sans prise en charge de sa douleur », Lou effectue notamment une échographie abdominale, une radio du thorax et une analyse urinaire. Verdict : « Quelque chose bloque dans le colon ». Après un lavement, la jeune fille est renvoyée chez elle sans examen complémentaire. Leitmotiv : « Il y a trop de monde aux urgences ». « Désemparée face à l'indifférence de l'hôpital public », Stéphanie tente sa chance dans le privé. C'est finalement une échographiste qui donne l'alerte : « Lou fait une péritonite (une inflammation abdominale, ndlr), il faut l'emmener aux urgences, et vite ! ». Trois jours après sa première consultation à Necker, Lou est enfin admise en chirurgie viscérale. « Prise en charge à midi, elle est alitée, avec une sédation qui ne la soulage même plus et doit encore attendre cinq heures pour passer un scanner », poursuit sa mère. A 18 heures, elle entre au bloc. Le diagnostic tombe trois heures plus tard : gangrène de l'intestin grêle. « Plongée dans un sommeil artificiel, elle reste cinq jours ventre ouvert, sédatée, et est opérée encore deux fois malgré une septicémie », souligne Stéphanie. Selon elle, « les chirurgiens n'ont pas pu la sauver car elle a été prise en charge trop tard. Lou aurait fait une dissection aortique entraînant une torsion intestinale qui n'a pas été diagnostiquée à temps. »
Manque d'écoute des médecins
Un terrible tribu que Stéphanie attribue à « la situation catastrophique de l'hôpital en France, doublée de l'incompétence de certains professionnels de santé -notamment des médecins trieurs incapables d'évaluer les patients à traiter en priorité aux urgences- sans parler de leur arrogance, prenant les parents pour des ignorants... » Un point de vue partagé par plusieurs parents qui témoignent de « l'absence de prise en compte du handicap de leur enfant ». « L'écoute et la prise en charge de la douleur chez les personnes handicapées est toute relative... Manque de sensibilisation ? », questionne l'un d'eux, tandis qu'un autre déplore « l'ignorance des médecins et la banalisation de la souffrance ». D'autres pointent « la dégradation des services de soins, le manque d'humanité, d'empathie et d'observation de certains médecins et internes qui, après de nombreuses heures de garde, sont fatigués et nettement moins réceptifs ». « En août 2019, alors que ma fille, handicapée, venait d'intégrer une unité de soins études à Paris, elle a été insultée et moquée par une infirmière qui la taxait de 'se plaindre pour rien', révèle une maman. J'ai essayé d'en parler au médecin de garde qui m'a couverte d'injures. Ma fille a ensuite subi des représailles de presque tout le personnel durant deux semaines, au point de vouloir mettre fin à ses jours ». Une autre affirme que « la plupart du personnel médical n'est pas formé aux consultations d'enfants différents et, plutôt que de le reconnaître, certains préfèrent pratiquer des examens inutiles ou s'en prendre à nous » ; elle a patienté 11 heures aux urgences avant de se faire renvoyer chez elle alors que son fils faisait une occlusion intestinale. Ses recommandations : prodiguer une formation spécifique et « surtout prendre davantage en considération l'expertise des parents ».
Des parents « dérangeants »
« Malheureusement, pour certains médecins très hautains, les parents sont dérangeants, ajoute une autre. Ils n'acceptent aucune remarque, aucune requête et encore moins notre avis. Pourtant, nous connaissons notre enfant mieux que personne ». « J'oriente souvent le personnel soignant concernant les examens à effectuer, certains sont ravis, d'autres m'envoient balader », constate une maman. « Alors que mon fils polyhandicapé hurlait de douleur au beau milieu de la nuit, les infirmières n'ont pas voulu réveiller le médecin de garde en me disant qu'il allait 'finir par se calmer'. J'ai dû fortement insister et il nous a finalement redirigés vers une neurologue qui refusait de lui prescrire autre chose que du Doliprane. Je l'ai sommée de lui donner un dérivé morphinique et du valium, elle m'a répondu qu'il en était hors de question, sous peine de devenir 'accro'. Quelques dizaines de kilomètres plus loin, un autre son de cloche... En réalité, mon fils faisait de graves crises de dystonie depuis quinze jours, il a finalement bénéficié du traitement que j'avais suggéré », partage une autre. Sachant qu'il « est polyhandicapé en raison d'une erreur médicale : un refus de césarienne car, là encore, on ne m'a pas écoutée... »
2 000 pédiatres tirent la sonnette d'alarme
Manque de personnel, pénurie de lits, restrictions budgétaires... « La pédiatrie est en crise », dénoncent 2 000 pédiatres dans une tribune publiée dans Le Parisien en novembre 2019. Et les grands hôpitaux « réputés » ne sont pas en reste... Selon Isabelle Desguerre, cheffe du service neuropédiatrique au sein de l'hôpital Necker, « la situation se dégrade depuis un an de façon mesurable » (vidéo ci-contre). Dans son service, 25 lits sont disponibles habituellement contre seulement 20 aujourd'hui, soit une diminution de 20 % depuis plus de quatre mois, « faute d'infirmières, avec une situation à flux tendu extrêmement difficile ». « Tous les jours, je refuse de jeunes patients », confie-t-elle au Parisien. « Nous mettons en danger les enfants et ne pouvons plus réaliser notre métier de soignant avec l'éthique médicale qui est la nôtre et considérons qu'il est de notre devoir d'informer la population et les parents de cette réalité », exprime cette pédiatre. En cause ? « Un système circulaire où l'on fait des calculs qui amènent à des objectifs budgétaires intenables sur lesquels on nous demande de contraindre les soignants médicaux et paramédicaux, sans tenir compte de ce dont la personne a besoin, et en particulier les enfants », observe-t-elle. Pour changer la donne, elle réclame tout d'abord « une remise en question des fondamentaux, à savoir l'évaluation du soin ».