En France, on compte plus de 7 millions de personnes sourdes et malentendantes, soit 11 % de la population. Toutes, potentiellement confrontées, un jour ou l'autre, à une situation d'urgence : malaise cardiaque, accident de la circulation, incendie domestique... « Pour autant, nombre d'entre elles renoncent encore à appeler les secours car elles redoutent ce problème de communication inévitable qui ne manquera pas de retarder la prise en charge et générera une source de stress supplémentaire », observe le sergent-chef Rémy Touzé, co-fondateur du dispositif MC-ASSIST. Bien sûr, il y a le 114, numéro national d'urgence destiné aux personnes sourdes et malentendantes. Mais après ? Quelle continuité de l'accessibilité sur les lieux du sinistre ?
Un module de formation à la LSF
« Ce dispositif s'articule autour de deux propositions essentielles : un module de formation et d'acculturation à la langue des signes de 2h30, ainsi qu'un outil de communication via une application mobile, détaille Rémy Touzé. Les sapeurs-pompiers ont désormais la possibilité d'apprendre une vingtaine de signes de base, et disposent, entre autres, de 150 questions en LSF, d'environ 180 pictogrammes et schémas pour l'évaluation de la douleur. »
Une prise de conscience née de l'expérience terrain
Ce projet naît en 2016, Rémy Touzé est alors sapeur-pompier au centre de secours de Caen-Couvrechef. Depuis plusieurs années déjà, il rencontre, tout comme ses autres collègues du Service d'incendie et de secours (SDIS) du Calvados, des difficultés opérationnelles lors d'interventions auprès de personnes sourdes ou malentendantes. « J'ai d'abord décidé d'entreprendre une formation à la Langue des signes française (LSF), à titre personnel, raconte-t-il. En 2017, je suis intervenu de nouveau auprès d'une famille dont tous les membres étaient sourds. J'ai alors réalisé qu'il suffisait souvent de peu de signes pour établir le contact, communiquer de manière plus fluide et gérer la prise en charge. » De fait, une victime qui voit un sapeur-pompier communiquer en LSF est rassurée dès les premières minutes de l'intervention. « Aujourd'hui, donner un papier et un crayon est insuffisant, sachant que 70 % des personnes déficientes auditives n'ont pas accès à l'écrit », précise-t-il.
Booster la sensibilisation auprès des pompiers
Soutenu par sa hiérarchie et ses collègues, mais aussi avec l'aide de l'Association des sourds de Caen et du Calvados, Rémy Touzé propose à ses collègues, notamment au capitaine Pierre Kéfélian-Jobert, de s'allier afin de booster la sensibilisation auprès des sapeurs-pompiers et de développer un outil numérique destiné à mieux prendre en charge cette population. Au préalable, il s'est nécessairement enquis d'éventuels dispositifs similaires conçus dans d'autres départements de France. Très vite, le constat s'impose : il n'y a rien ! Impossible, néanmoins, de former les 2 000 sapeurs-pompiers du département à la langue des signes, sachant que cela coûte près de 15 000 euros pour une seule personne et s'étend sur plusieurs mois.
En 2017, le projet MC-ASSIST (Module complémentaire pour l'adaptation des services de secours par l'inclusion de la surdité dans nos techniques), copiloté depuis 2023 par le capitaine Frédéric Gilles, se dessine autour d'une équipe de dix sapeurs-pompiers du Calvados. Parmi eux, Farid Darkaoui, volontaire sourd, expert en LSF.
Un projet multi-récompensé
Depuis début 2024, MC-ASSIST s'est étendu à l'ensemble des centres de secours du Calvados. Cette innovation a reçu de nombreuses récompenses : lauréat du fond MNT (Mutuelle nationale territoriale), prix Inclusion surdité bronze de la Fondation pour l'audition (assorti d'une dotation de 20 000 euros), premier prix de l'innovation des sapeurs-pompiers lors du Congrès national 2023, et surtout le prix de l'innovation du ministère de l'Intérieur fin 2023. Fort de ce coup de projecteur, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) s'y est alors intéressée de plus près et a choisi de l'accompagner plus étroitement.
Une généralisation sur tout le territoire
Le projet prend alors une dimension nationale, puisqu'il est actuellement en phase d'expérimentation dans 17 services départementaux d'incendie et de secours (Aisne, Ariège, Manche...) et 6 associations agréées de sécurité civile, comme la Croix-Rouge, la Croix-Blanche ou encore la FFSS (Fédération française de sauvetage et de secourisme). L'application a même été utilisée sur certains sites des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. « Nous sommes fiers d'avoir pu continuer à soutenir la démarche via l'achat de tablettes pour déployer le dispositif sur le plus gros événement qu'un pays puisse organiser, s'enthousiasme Assia Afaïfia, directrice des programmes sociétaux à la Fondation pour l'audition. Ce projet est d'autant plus pertinent qu'il peut s'adresser aussi, grâce à ses trois modes de communication (écrit, LSF et pictogrammes), à toute personne rencontrant des difficultés de communication à la suite d'un accident de la vie comme un AVC, une aphasie temporaire, un bégaiement dû au stress... »
Apporter à tous les citoyens la même réponse de secours
A l'origine « faite maison » et bénévolement par Franck Chauvin, sapeur-pompier volontaire du SDIS 14, elle est devenue une application gratuite du service public pour le service public au sein de la sécurité civile. Avec l'ambition, ô combien inclusive, d'apporter à tous les concitoyens la même réponse de secours. « Pour ce faire, nous avons aussi la volonté de développer un réseau d'ambassadeurs au sein des services d'incendie et de secours, composé a minima d'un sapeur-pompier et d'un volontaire expert sourd, pour intégrer l'inclusion dans toutes nos pratiques opérationnelles, témoigne le capitaine Frédéric Gilles. Échelonnée sur une année, l'expérimentation en cours a pour but de permettre à tous les acteurs du secteur et à la communauté sourde de participer à l'amélioration du dispositif. « A l'horizon 2026, l'objectif est de l'étendre à toutes nos missions, notamment les missions d'incendie et ensuite auprès d'autres services publics d'urgence (police, gendarmerie, SMUR) », espère son pilote au sein du SDIS 14.
© Equipe DGSCGC – MC-ASSIST