A Cassel, les déficients visuels touchent l'art du doigt

Toucher la beauté lorsqu'on ne peut la voir... Au musée de Flandre de Cassel (Nord), les visiteurs déficients visuels peuvent, lors de visites dédiées, découvrir les œuvres grâce à des maquettes en relief. Dans un cadre historique et magique...

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Par Baptiste Becquart

« Ah oui là il y a le pivert ! Au-dessus, la pie... C'est superbe ! », s'exclame Annick, 60 ans. Son doigt court sur les plumages du Concert des oiseaux, peinture du maître flamand Frans Snyders, reproduite sur une maquette. D'abord tâtonnante, la main se fait ensuite plus rapide et précise, comme un baromètre de sa compréhension de l'œuvre. Les plumes d'oreiller pour les plumages, le coton pour les nuages, du petit bois pour une branche... Annick, touchée par une dégénérescence rétinienne, savoure : « Cela nous permet de mieux appréhender l'œuvre et sa beauté ».

Labélisé pour les 4 handicaps

Depuis la loi de 2005 sur le handicap, qui a imposé des accueils spécialisés dans les établissements culturels, plusieurs musées en France proposent de telles visites tactiles, à l'image du Louvre ou du musée Guimet à Paris. Le musée de Flandres de Cassel (Nord), installé dans un monument historique classé est de ceux-là ; il organise des visites à la demande, soit en moyenne 700 personnes sur les 50 000 visiteurs annuels. L'établissement, labellisé pour les quatre grands types de handicap, a été récompensé en septembre 2016 par le premier prix « Patrimoines pour tous » du ministère de la Culture. Pour Sandrine Vézilier-Dussart, sa directrice depuis 2001, « nous ne sommes pas que des bâtiments, nous sommes des musées. Si on ne réfléchit pas à comment une personne handicapée va pouvoir se laisser porter et émouvoir par l'œuvre, ça ne sert à rien de travailler sur l'accessibilité physique » uniquement.

Des tableaux en audiodescription

Annick et les 21 autres visiteurs du jour ont d'abord suivi l'audiodescription du Concert des oiseaux proposée par une médiatrice spécialisée, puis écouté le fameux Canon du compositeur Johann Pachelbel pour s'imprégner de l'atmosphère du tableau, et s'approcher de l'intention de Snyders : évoquer l'association harmonieuse de voix différentes dans le concert de la société. Ils se sont ensuite installés sur une table pour manipuler les deux maquettes, l'une thermoformée, l'autre faite de bric et de broc par une jeune artiste-plasticienne, Chloée Bué.

Réveiller les sensations

Les personnes déficientes visuelles perçoivent les œuvres schématiquement mais intensément. « J'ai dû faire une sélection des couleurs, des formes que je voulais montrer. Par exemple, le passereau était trop petit », relate Chloée Bué. « Ensuite j'ai collé une à une les plumes des oiseaux sur du Sopalin et de la colle blanche. L'important est de bien garder les proportions du tableau et de mettre en avant l'essentiel, c'est-à-dire les oiseaux ». « C'est épatant ! », sourit Marie, en caressant la crinière en tissu soyeuse du lion et le corps de velours des lièvres, représentés par Snyders dans Le Lion mort. « J'ai toujours aimé la peinture, mais à la mort de mon mari il y a cinq ans et la dégradation de ma vue, c'était terminé, l'assiette était vide... Là, je retrouve des couleurs », glisse la septuagénaire. Preuve d'un souci du détail qui a du sens, la maquettiste a figuré le petit moulin hollandais, tout en haut à droite, pour situer en Flandres cette scène inspirée d'Esope, le fabuliste de l'Antiquité.

Le public valide séduit aussi

Les impressions vivaces transmises par la médiatrice Cindy ont de quoi séduire également un public valide : « Au centre du paysage légèrement vallonné, rendu avec des tons de vert tendre, se trouve étalé un lion, les yeux ouverts, la patte pendante, le corps décrivant une courbe comme une vague, sa belle crinière ondulant légèrement ». « Nous attirons souvent l'attention sur des choses que le public voyant ne regarde pas », explique Cindy. « Car au-delà des couleurs et des positions des choses figurées, l'important est de réveiller les sensations et les atmosphères du tableau afin qu'il devienne vivant » pour le public. Sandrine Vézillier-Dussart abonde : « Dans les parcours permanents, même les valides prennent les maquettes, ils disent : ″Je n'avais pas vu tel détail″. Et puis, pour une fois qu'on a le droit de toucher au musée...»

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