Par Noe Leiva
Ils voulaient rejoindre les États-Unis sur le fameux train de marchandises "La Bestia" (La Bête) mais ont échoué et perdu une jambe ou un bras dans cette périlleuse traversée. Des centaines de migrants cherchent désormais une "nouvelle vie" dans leur propre pays.
En tentant de grimper
Jorge, 28 ans, en avait 17 quand il a tenté de grimper sur ce train qui traverse le Mexique jusqu'à la frontière américaine, emprunté clandestinement chaque année par des milliers d'habitants de la région rêvant d'un meilleur avenir au nord. Il n'a pas réussi et a chuté sur la voie. Les roues du train lui sont passées dessus et ce jeune homme à la peau claire, cheveux crépus et yeux vifs, a survécu par miracle grâce à l'aide des trois amis et de deux autres personnes, qui lui ont fait des garrots. Mais il perdu son bras gauche, sa jambe droite et le petit doigt de sa main droite. Onze ans plus tard, Jorge tient un stand d'épicerie sur le marché populaire de Choluteca, à 100 kilomètres au sud de la capitale Tegucigalpa, après avoir reçu une aide pour obtenir une prothèse. "Il ne s'est jamais donné pour vaincu, pour lui il n'y a rien d'impossible", dit fièrement son père, Jorge Alberto Carbajal, 62 ans, qui travaille avec lui.
Victimes de la Bête
Comme Jorge, plusieurs centaines de Honduriens sont revenus au pays ces dernières années après avoir cherché à émigrer pour fuir la violence et le manque d'opportunités. Mais ils sont rentrés amputés après s'être blessés en essayant de monter sur "La Bestia". La fondation Nouvelle vie, soutenue par la Croix-Rouge, leur permet d'aller de l'avant en les aidant à acquérir les prothèses nécessaires. Walter Aguilar, 33 ans, lui-même amputé de la jambe droite après un accident de circulation en 2001, s'est spécialisé dans la fabrication de prothèses de polypropylène et c'est lui qui se charge du suivi de Jorge et d'autres patients qui bénéficient du programme de la fondation. Pour Jorge, une telle aide lui a notamment permis de continuer le sport. "Tous les jours je me lève pour courir 20 minutes avant d'ouvrir mon commerce", raconte cet étudiant en sciences sociales qui tient aussi un stand de vente de jus de fruits dans un collège. Il regrette surtout de n'avoir plus sa jambe, car en courant avec une prothèse il dit "perdre en vitesse". Il admet aussi que ses capacités ne sont plus les mêmes ; il ne peut plus porter plus d'une vingtaine de kilos de maïs, haricots ou riz.
Rêves de membres amputés
La directrice de la fondation, Reina Estrada, calcule que son organisation est venue en aide, depuis 2011, à plus de 200 personnes amputées, en leur fournissant des prothèses d'une valeur de 800 à 1 100 dollars. La fondation leur apporte aussi un soutien psychologique car pour ces ex-candidats au départ, les dommages sont aussi émotionnels. La psychologue du centre, Hellen Briceño, explique que le premier traitement est d'éviter qu'ils présentent des tendances suicidaires, car perdre un membre entraîne généralement un processus de deuil très douloureux. "Ils doivent faire beaucoup d'efforts car nombre d'entre-eux vont jusqu'à rêver qu'ils ont encore la jambe ou le bras qu'on leur a amputés", raconte-t-elle.
Le prix du rêve américain
Pour Jorge, malgré les risques de ce voyage, de nombreux Honduriens continuent de l'entreprendre car ils ne supportent plus les conditions de vie au Honduras, où la violence des gangs sème la terreur dans la population. Et, selon lui, ni les campagnes dissuasives ni les politiques anti-migratoires des États-Unis ne vont réussir à contenir le désir de nombreux habitants d'Amérique centrale d'aller chercher le "rêve américain". Lui-même a participé à une campagne dans les écoles et collèges de Choluteca pour dissuader les jeunes de choisir ce chemin périlleux. Selon le Forum national pour les migrations (public), sur les sept premiers mois de 2017, 232 migrants sont morts dans cette traversée, 17% de plus qu'en 2016. Aux Etats-Unis, plus d'un million de Honduriens sont déjà installés. L'an dernier ils ont envoyé pour près de 4 milliards de dollars à leurs proches restés au pays, soit 18% du PIB du pays d'Amérique centrale.
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