Par Mussa Hattar
Souvent victimes de conflits, il y aurait dans le monde 40 millions de personnes amputées dont seulement 5% bénéficieraient d'une prothèse. Abdallah observe dans un hôpital jordanien une prothèse imprimée en 3D, une technique moins onéreuse que la méthode traditionnelle et qui fait son chemin au Moyen-Orient, redonnant espoir à de nombreux Syriens et Irakiens ayant perdu un membre dans les guerres. Ce soldat irakien de 22 ans a perdu la main gauche et a été grièvement blessé à la main droite en 2016, dans l'explosion d'une mine durant les combats contre le groupe État islamique (EI) à Mossoul. "Ce n'est pas facile de remplacer une main mais la prothèse est la meilleure solution (...) elle me redonne une certaine autonomie", dit Abdallah (un nom d'emprunt). "Je n'aurais plus à dépendre de l'aide de mon frère pour me nourrir." Abdallah est suivi à l'hôpital Al-Mowasa, géré par Médecins sans frontières (MSF) à Amman.
Bouger la main gauche
L'impression 3D permet de produire des prothèses moins coûteuses et sur mesure selon les initiateurs du projet, qui conçoit et produit des prothèses passives, ou sans articulations, sur mesure. En jeans et chemise vert foncé, Abdallah raconte qu'après l'explosion, il avait été transféré dans un hôpital d'Erbil (Kurdistan irakien), avant d'être envoyé en Jordanie pour pouvoir obtenir une prothèse par impression 3D. "À présent, je vais mieux", assure-t-il à l'AFP esquissant un petit sourire. "J'espère maintenant pouvoir me faire opérer de la main droite et obtenir une nouvelle prothèse qui me permettrait de faire bouger la main gauche".
Mode d'emploi
Une équipe spécialisée du projet Prothèse 3D de la Fondation MSF (lien ci-dessous) s'est installée en Jordanie il y a un an et reçoit des patients depuis juin, surtout des victimes des conflits dans la région, notamment d'Irak, de Syrie et du Yémen. "Nos patients ont pour la plupart eu un bras amputé sous le coude", explique Pierre Moreau, Coordinateur du projet Prothèse 3D à Amman, selon qui le projet a déjà reçu des dizaines de demandes de prothèses. La procédure suivie avec les patients commence par un bilan clinique individualisé, puis un scanner est effectué pour faire une image 3D de la surface du moignon. Un logiciel de modélisation permet ensuite de concevoir l'emboiture et la prothèse, avant l'impression 3D qui s'opère par superposition de couches de plastique ou autre matériel, explique sur son site la Fondation MSF. Le projet Prothèse 3D opère en collaboration avec un laboratoire de fabrication numérique en Jordanie.
Entre 20 et 50 dollars
MSF dit avoir lancé son projet courant 2017, une première au Moyen-Orient, en vue de donner l'accès aux prothèses à un maximum de patients victimes des conflits dans la région. Selon Pierre Moreau, le projet Prothèse 3D à Amman a traité 15 patients (5 Syriens, 2 Irakiens, 2 Yéménites, 2 Palestiniens et 4 Jordaniens), à qui on a "fourni des prothèses pour membre supérieur." "Nous avons choisi la Jordanie car nous y disposons d'un des plus grands hôpitaux et des mieux équipés, le royaume est un pays stable de la région et par conséquent nous pouvons accueillir des patients de Syrie, d'Irak et du Yémen", explique-t-il. Ces prothèses "sont moins onéreuses et plus légères" que les traditionnelles qui peuvent atteindre plusieurs milliers de dollars. Elles coûtent entre 20 et 50 dollars et elles "sont individualisées, conçues selon les besoins du patient", ajoute-t-il.
Acile se fait les ongles
Originaire de Deraa, ville rebelle du sud de la Syrie, Ibrahim al-Mahamid est suivi par l'équipe de MSF. Ce chauffeur de taxi de 33 ans a perdu la main gauche dans un bombardement en 2013 et il a été amputé peu après dans un hôpital de campagne en Syrie. "La nouvelle prothèse m'a redonné l'espoir de pouvoir reprendre mon travail et d'assumer les charges familiales", affirme ce père de famille établi depuis 2014 en Jordanie. Le projet de MSF profite également aux personnes souffrant de maladies congénitales, comme la petite Acile Abou Ayada qui est née sans main droite. Une main artificielle fournie par MSF a permis à cette fillette de 7 ans "d'intégrer l'école et même d'esquisser des dessins", explique son père Raouhi (32 ans) dans la maison familiale, dans le camp de réfugiés palestinien de Jerash, un des plus démunis de Jordanie. Acile aime jouer à se faire vernir les ongles. Elle peut désormais le faire toute seule et sur les deux mains.
© MSF