Par Salam Faraj
Karrar Hassan, 25 ans, fait partie des dizaines de milliers de militaires et supplétifs blessés dans les combats contre les jihadistes en Irak. En 2014, ce jeune chômeur a rejoint, comme une multitude d'autres, le Hachd al-Chaabi, coalition hétéroclite de milices et de civils, en majorité chiites, ayant pris les armes pour repousser le groupe État islamique (EI). Quelques mois plus tard, lors de la bataille de Fallouja, à l'ouest de Bagdad, une explosion lui a arraché le mollet gauche. Aussitôt, le Hachd l'a envoyé dans des hôpitaux au Liban et en Iran. Doté d'une prothèse, il est tout de même retourné au front en 2015. Lors de la bataille de Baïji, au nord de Bagdad, l'une des plus dures contre l'EI en Irak, il a été atteint par deux balles au genou droit. La guerre s'est arrêtée pour lui à ce moment-là. Il faudra attendre décembre dernier pour que Bagdad déclare « finie » et victorieuse la guerre contre les jihadistes.
Faible pension
Depuis, incapable de travailler ou même de conduire, Karrar Hassan passe ses journées chez lui, à se creuser la tête pour trouver le moyen de subvenir aux besoins de sa femme et de ses trois jeunes enfants. Sa pension de 500 000 dinars (400 dollars, environ 320 euros) équivaut à un peu moins que le salaire moyen en Irak. Mais dans un pays où les services publics font défaut et sont souvent assurés par des entreprises privées, il ne peut pas, dit-il, à la fois nourrir sa famille et payer ses médicaments. « Le gel que je dois mettre entre ma jambe et ma prothèse me coûte tous les dix mois environ 800 dollars », environ 640 euros, explique-t-il à l'AFP dans son appartement exigu d'un quartier populaire de Bagdad. Pour subsister, il a pensé à cumuler des petits boulots comme une grande partie des Irakiens qui travaillent généralement de longues heures, après leur emploi de fonctionnaire par exemple. « Mais avec mes jambes, je ne peux pas conduire un taxi » ou porter de lourdes charges, se lamente-t-il.
1 450 combattants amputés
Le Hachd prend actuellement en charge dans ses hôpitaux « 60 000 combattants et 300 000 civils » blessés, selon Abou Mehdi al-Mohandis, numéro deux de cette coalition. Dhia Hussein, qui dirige al-Razi, un hôpital du Hachd à Bagdad, affirme que, depuis six mois, son établissement a dispensé des soins à « 1 450 combattants du Hachd amputés ». En trois ans de lutte contre l'EI, le Hachd a fait état de quelque 8 000 morts et 26 000 blessés dans ses rangs. Des chiffres auxquels il faut ajouter le bilan, non communiqué, pour l'armée et la police qui ont mobilisé des dizaines de milliers d'hommes.
Succession de guerres
Tous ces blessés viennent aussi s'ajouter à la longue liste des combattants amputés et handicapés au cours des autres conflits et violences qui ont ravagé le pays, depuis le début en 1980 de la longue guerre contre l'Iran. De son atelier de prothésiste, Tahssin Ibrahim a vu le phénomène s'amplifier depuis la chute en 2003 du dictateur Saddam Hussein. Lui qui exerce depuis plus de trente ans à Bagdad assure que le nombre d'ateliers et de magasins d'équipement médical dans la capitale a été multiplié par dix en une quinzaine d'années. Ses clients, pour beaucoup blessés au combat, s'endettent, assure-t-il, auprès de proches pour acheter des prothèses dont les modèles les plus rudimentaires coûtent en moyenne un millier de dollars. « Leurs pensions sont très insuffisantes », confirme le docteur Ghassan al-Aloussi. « Les institutions publiques et de santé doivent porter plus d'attention à ces combattants amputés parce qu'ils ont défendu le pays », plaide encore ce prothésiste.
Sa pension en soins médicaux
Ahmed, 32 ans, a été envoyé au front à Mossoul (nord) avec son unité de la police fédérale. Là-bas, un obus tiré par les jihadistes lui a arraché une partie de la jambe droite. Sa pension de 575 000 dinars par mois (environ 460 dollars, quelque 370 euros) ne « suffit pas », dit-il, pour payer ses consultations et ses médicaments et faire vivre sa famille. « Même le transport pour aller chez le médecin coûte : le bus n'est pas adapté aux handicapés, donc je dois payer un taxi », affirme-t-il. Chaque mois, dit-il, la moitié de sa pension sert à « payer les soins médicaux ». Et les quelque 200 dollars qui restent « ne suffisent pas » à nourrir ses quatre enfants.
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