« Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que… », « un nain politique », « rester sourd aux revendications… » La langue française regorge de ces expressions qui dévalorisent le handicap, ne le reconnaissant pas comme une situation d'empêchement mais comme un travers, un mauvais trait de caractère. Cette culture de la disqualification est fortement ancrée dans l'inconscient collectif et peu s'interrogent sur le mal qu'elle produit.
La construction de stéréotypes
Pourtant, on a fini par réaliser que manger des « têtes de nègres », parler du « sexe faible » ou évoquer le « travail d'arabe » contribuait activement à la construction des stéréotypes racistes et machistes. C'est le constat que fait Anne-Sarah Kertudo, juriste non-voyante qui se bat via l'association Droit Pluriel pour une justice accessible à tous (article en lien ci-dessous). Selon elle, « le langage administratif a repris à son compte ces représentations négatives ». On est « déficient », « invalide » ou on se voit reconnaître un « taux d'incapacité de 80% ». « Qui peut porter ces étiquettes qui enferment les personnes concernées dans la honte sans en être gêné ? », interroge-t-elle. Tous ces mots reflètent la représentation générale du handicap, assimilé à une infériorité. Or qui dirait de Beethoven qu'il était déficient, de Sarah Bernhardt qu'elle était invalide ou encore de Ray Charles qu'il était incapable à 80 % ? « Ces termes interdisent tout cheminement vers l'égalité », poursuit-elle.
L'autisme, pas épargné
Amélie Tsaag Valren, universitaire, s'est, de son côté, penchée sur les terminologies dans le champ de l'autisme. Elle déplore l'usage du mot « autiste » comme insulte depuis les cours de récréation jusqu'aux plateaux de télévision. Il est par ailleurs souvent associé à « souffrant » ou « atteint », qui véhicule l'idée selon laquelle l'autisme serait seul responsable de la « souffrance » des personnes concernées, ce qui ne correspond pas à leur ressenti, selon elle. « Il faut éviter l'effet Pygmalion, explique Amélie Tsaag Valren, elle-même personne autiste. A s'entendre qualifier de 'déficiente' ou de 'charge', une personne peut le devenir. »
Des dicos pas à la page
Telles sont pourtant certaines définitions retenues dans nos dictionnaires contemporains. En 2018, l'association Droit Pluriel, en partenariat avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et le Conseil national des barreaux, a donc alerté les éditeurs sur cet archaïsme, leur démontrant le préjudice important causé non seulement aux personnes concernées mais à la société toute entière (article en lien ci-dessous). Le Robert, dans sa dernière édition papier datée de 2020, a compris le message et modifié sa définition du handicap en s'inspirant de la loi du 11 février 2005 et de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. « Le Larousse, connu pour avoir toujours quelques trains de retard, n'a pas daigné répondre… », poursuit Anne-Sarah Kertudo. Amélie Tsaag Valren déplore à son tour l'usage du mot autiste validée par ce dernier avec la mention « au figuré, par exagération » : « Déni de réalité qui pousse à s'isoler et à refuser de communiquer, et, particulièrement, d'écouter autrui ».
Droit Pluriel a donc décidé de se mobiliser sur cette question de vocabulaire au motif qu'il « ne s'agit pas d'un point symbolique ». C'est notamment l'une des revendications d'une pétition mise en ligne en décembre 2020 (en lien ci-dessous). « Changer les mots permet la construction d'une pensée juste », plaide l'association. Par le passé, la législation a déjà permis de faire « bouger les lignes » puisque les lois de 1987 et 2007 ont fait disparaître les appellations « débile mental » ou « incapable majeur ».
Un début de réponse
Pour aller plus loin, l'association appelle à la création d'une commission réunissant linguistes, juristes, personnes concernées afin de formuler des « propositions concrètes ». « Il est urgent de poursuivre la modernisation du langage car elle est aussi la condition d'une société inclusive », conclut Anne-Sarah Kertudo. Peut-être un premier a-t-il été franchi en ce sens le 3 décembre 2020 ? Sous l'égide du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), un nouveau « comité de rédaction handicap » voit le jour. Son objectif ? Se pencher sur la sémantique autour du handicap pour inciter les médias à dépoussiérer les vieux clichés, utiliser les « mots justes » et encourager les bonnes pratiques rédactionnelles (article en lien ci-dessous). Sa première mission sera d'explorer le traitement médiatique du parasport.