Un pas de plus dans la lutte contre l'handiphobie ! Controversée, la loi Avia, qui vise à mettre fin à l'impunité de la haine en ligne, a été adoptée ce 13 mai 2020, à l'Assemblée nationale. Selon les députés LREM, « les contenus haineux, déjà trop présents sur la toile, ont significativement explosé ces dernières semaines », depuis le début du confinement, et « montrent, une nouvelle fois, l'urgence de réguler les réseaux sociaux ». Sur le modèle d'une loi allemande de 2018, les plateformes (YouTube, Facebook...) et moteurs de recherche (Google, Qwant...) auront l'obligation de supprimer, sous 24 heures, les contenus « manifestement illicites » signalés au préalable par les internautes. Sont concernées les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou religieux ou encore les discriminations en raison de l'orientation sexuelle et désormais du handicap. Une belle « surprise » pour les associations du secteur.
Le web, premier lieu d'expression de la haine
« Alors que cela n'était pas indiqué dans la version initiale de la loi, et comme nous l'avions demandé, nous nous satisfaisons que les propos haineux et discriminatoires en raison du handicap y soient mentionnés », réagit Matthieu Annereau, président de l'APHPP, association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques. Pour rappel, le handicap est, pour la seconde année consécutive, la première cause de discrimination en France (article en lien ci-dessous). Or, Internet est « le premier lieu d'expression de la haine aujourd'hui, déplore l'auteure de cette loi, la députée LREM de Paris, Laetitia Avia. Mais, pour l'heure, peu de plaintes ont déposées, peu d'enquêtes aboutissent, peu de condamnation sont prononcées. »
Quand la stigmatisation retarde l'accès aux soins
« Sal triso », « espèce de schizo », « suicide toi mongol »... Les réseaux sociaux accentuent la stigmatisation de certains troubles, et notamment la schizophrénie. Un fléau qui, au-delà d'être blessant, peut avoir des conséquences directes sur la prise en charge des patients. « Les préjugés qui en découlent entraînent un retard d'accès aux soins, des difficultés d'adhésion au diagnostic et donc aux traitements et, pire encore, un isolement social et affectif des malades qui supportent déjà un trouble douloureux », précise le professeur Raphaël Gaillard, président de la Fondation Pierre Deniker, à l'origine d'une étude sur le sujet (article en lien ci-dessous). De son côté, Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au handicap, avait exprimé son souhait « d'aller plus loin » contre les insultes « blessantes » à l'égard des personnes atteintes d'un handicap mental comme la trisomie, appelant à « stopper cette discrimination », et pas seulement sur les réseaux sociaux.
Bouton unique de signalement
Pour changer la donne, le 5 mars 2020, le réseau social Twitter avait annoncé qu'il ne laisserait plus passer les attaques « déshumanisantes », fondées sur l'âge, la religion, le handicap ou encore la maladie. « Notre souci principal est de nous attaquer au risque de violences dans la vie réelle, et les recherches montrent que les propos déshumanisants augmentent ce risque », détaillait-il dans un communiqué. Animée par la même ambition, la loi Avia propose, notamment, la mise en place d'un dispositif unique de signalement (« bouton unique »), commun à toutes les plateformes. Par ailleurs, prévoit le texte, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) veillera au respect du devoir de coopération des opérateurs et pourra, en cas de manquement persistant, prononcer une sanction allant jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires annuel mondial. Les plateformes récalcitrantes s'exposent à une amende pouvant aller jusqu'à 1,25 millions d'euros en cas de non retrait de contenus illicites. Les signalements abusifs des internautes seront, quant à eux, passibles de 15 000 euros d'amende et d'un an d'emprisonnement. La loi prévoit, à ce titre, la mise en place d'un parquet et d'une juridiction spécialisés dans la lutte contre la haine en ligne.
Une loi controversée
« Le fait que cette loi soit le premier texte voté depuis le début du confinement en dehors des textes d'urgence est un symbole fort pour rappeler que nous ne baissons pas la garde quand il s'agit de protéger les internautes victimes de cyber-harcèlement, estime Laetitia Avia. Cela est encore plus nécessaire dans cette période de crise sanitaire et de confinement où les réseaux sociaux ont pris d'autant plus d'importance dans notre quotidien. » Damien Abad, président du groupe LR, lui-même en situation de handicap, n'est pas de cet avis. S'il concède que « tout le monde est d'accord pour lutter contre la haine en ligne », selon lui ce « dispositif est mal conçu ». « Avec l'ensemble des députés Républicains, je voterai contre la loi Avia, avait-il prévenu sur Twitter quelques heures avant son adoption, jugeant « les risques de sur-censure trop importants ».
La CNCDH « inquiète »
Même son de cloche pour les autres partis d'opposition mais aussi pour la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) qui se dit « inquiète » concernant ce texte qui menace « de manière disproportionnée la liberté d'expression ». « Ce dispositif renforce le pouvoir des grandes plateformes au détriment des autres acteurs qui n'auront pas tous les moyens d'appliquer la loi. En outre, la lourdeur de la sanction encourue risque d'encourager des retraits excessifs, faisant peser un risque de censure », estime-t-elle.
Par ailleurs, la CNCDH regrette « le manque de dispositions de prévention dans le projet de loi et notamment de mesures ambitieuses concernant l'éducation au numérique ». Dès lors, elle recommande la mise en place d'un plan national d'action sur l'éducation et la citoyenneté numérique, à destination de l'ensemble des utilisateurs.
La loi Avia, en résumé
• Retrait des contenus manifestement illicites sous 24 heures, et des contenus à caractère terroristes et pédopornographiques sous 1 heure
• Bouton unique de signalement
• Obligation de moyens de modération proportionnés à l'activité de la plateforme
• Contrôle et régulation sous la supervision du CSA, avec des sanctions jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial
• Renforcement du blocage et de la lutte contre le financement des sites à caractère haineux
• Création d'un parquet numérique spécialisé
• Création d'un observatoire de la haine en ligne.