Par Laetitia Drevet
Aux murs de sa chambre, Axelle Cruchet a déjà accroché des posters de chevaux qui gambadent, crinière au vent. Assise sur un lit aux draps fleuris, les pieds posés sur un tapis parsemé d'étoiles, elle raconte tout sourire ce déménagement qui a "changé (sa) vie". "Je suis si heureuse ici, j'ai trouvé une autonomie. Je fais des balades, des sorties, la cuisine. J'ai appris à faire mon linge toute seule", raconte fièrement la jeune femme, cheveux bruns aux épaules et débardeur bleu électrique. Il y a quelques années, elle avait vécu "chez l'habitant" mais "pas longtemps" ; "Ça ne s'est pas très bien passé", murmure-t-elle en baissant la tête. Alors elle était rentrée chez ses parents, faute d'autre solution d'hébergement autonome adapté.
Accompagnement sur mesure en milieu ordinaire
Dans sa nouvelle maison, située dans une rue calme du nord de Nantes, elle cohabite avec quatre jeunes porteurs de handicaps mentaux et cognitifs et cinq jeunes actifs sans handicap. L'entreprise Fratries, détenue par un fonds de dotation à but non lucratif, leur sous-loue depuis la mi-avril une grande bâtisse de 350 mètres carrés avec jardin, piscine et barbecue. "Notre projet vise à proposer aux jeunes en situation de handicap un accompagnement sur mesure, mais en milieu ordinaire", explique Emmanuel de Carayon, cofondateur de Fratries et ancien secrétaire général des cafés Joyeux, établissements qui forment et emploient des serveurs et cuisiniers en situation de handicap.
"Entre jeunes"
Pendant la journée, des auxiliaires de vie viennent à domicile pour aider les jeunes à s'habiller, faire des courses ou cuisiner, selon leurs besoins. Le responsable des lieux habite avec sa femme et ses deux enfants dans un appartement attenant. Au rez-de-chaussée de la maison, les colocs partagent une vaste cuisine, un salon tout en baies vitrées et une salle télé. Aux étages, chacun occupe une chambre dotée d'une salle de bain. Pour décorer la sienne, Emma de Montclos, jeune femme trisomique de 23 ans, a accroché au-dessus de son lit une dizaine de photos, souvenirs de son enfance à Marseille et de récentes vacances au Kenya. Son voisin du dessus, Valentin Lepine, tient également à faire visiter sa chambre, que deux larges fenêtres baignent de lumière. "Parfois on peut bronzer", assure le jeune homme de 25 ans, atteint de troubles autistiques. Eux deux aussi rêvaient de quitter leurs parents pour vivre "entre jeunes" et surtout "comme tout le monde".
Autour d'une table de jardin où trône un gratin de courgettes préparé par Pauline Birard, jeune femme trisomique aussi souriante qu'énergique, les colocataires sont installés pour dîner. Sous le dernier rayon de soleil de la soirée, l'une raconte sa longue journée de travail tandis qu'un autre remplit une seconde fois son assiette. "L'important c'est qu'on est tous des adultes, au même niveau. Personne n'est responsable d'un autre", affirme Aurélie Mary, 28 ans, coordinatrice d'aide à domicile pour personnes âgées, assise au bord de la piscine.
Des colocataires guillerets
"Il y a un trou dans la raquette. Les résidences coûtent cher et ne correspondent pas toujours aux aspirations de jeunes qui en ont marre d'être mis à l'écart", souligne Emmanuel de Carayon. Pour habiter la maison Fratries, ils déboursent en moyenne "entre 700 et 800 euros" chaque mois, selon leurs ressources, précise le cofondateur d'un projet qui se veut "accessible à tous". Quant au loyer des jeunes actifs, il est "aligné sur les prix du marché", soit 700 euros par mois avec les charges. "C'est normal, vivre avec des jeunes porteurs de handicap est un choix, ça ne justifie pas un loyer au rabais", poursuit Emmanuel de Carayon. Viktoria Gunnarsson, institutrice de 28 ans, a posé ses valises chez Fratries car elle était certaine de trouver en ses colocataires guillerets une "bouffée d'oxygène à long terme". Solution d'hébergement "pérenne", la maison n'impose pas de limite à la durée de bail de ses locataires. Le projet est appelé à être dupliqué : une deuxième maison Fratries devrait ouvrir à Rennes au printemps 2023.