Neurodiversité au travail : un petit truc en plus?

Les personnes neuroatypiques se démarquent. Nombre d'entre elles ont connu un parcours scolaire semé d'embûches et s'insèrent souvent difficilement dans le microcosme de l'entreprise. Zoom sur ces drôles de zèbres.

• Par
Une femme analyse des graphiques et autres documents professionnels.

Selon la Délégation interministérielle à la stratégie des troubles du neurodéveloppement, il n'existe pas de statistiques fiables sur l'emploi des personnes neuroatypiques. À mesure que le sujet se démocratise émerge également la notion de neurodiversité, qui vise à concevoir les Troubles du neurodéveloppement (TND), comme le TDA/H (trouble de l'attention avec ou sans hyperactivité), les troubles des apprentissages (« dys »), du spectre autistique (TSA), non pas comme un handicap, mais plutôt comme une richesse avec des compétences à valoriser. Avec, plus ou moins de réussite, selon les spécificités des profils, les structures et leur volonté d'engagement. Le danger prégnant, pour les personnes qui n'ont pas toujours conscience de leur différence, est de se suradapter au point d'être également touchées par des risques psychosociaux (RPS) liés au travail, comme la dépression, le burn out...

Des spécificités qui déstabilisent le collectif de travail

À la différence des troubles psychiques, les TND sont présents dès la naissance même s'ils sont parfois diagnostiqués beaucoup plus tard. Cela se traduit par des aptitudes et des difficultés inhabituelles dans la manière d'agir, de penser, de percevoir le monde ou d'entrer en relation avec les autres, d'où la qualification de personne « neuroatypique » ou « neurodivergente ». Dès lors, pour certaines, l'accès à l'emploi s'avère compliqué. D'autres, en poste, s'interrogent sur leur avenir professionnel, sachant qu'elles sont perçues par leurs managers ou leurs collègues comme « peu efficaces » en raison de leurs pauses à répétition ou « bizarres » à ne jamais participer aux conversations à la machine à café. Il n'est pas rare non plus que plusieurs neuroatypies se cumulent, désarçonnant plus encore l'entourage professionnel.

« Quand vous avez du mal à lire et à écrire, vous êtes un cancre ! »

Didier Pahl, retraité de 67 ans, rêvait d'être océanographe. « Ma dyslexie a eu une énorme incidence sur mes projets de carrière, explique-t-il. À l'époque, le système scolaire ne faisait pas de cadeau. Avoir beaucoup de mal à lire et écrire vous reléguait automatiquement dans la catégorie des cancres sans même chercher à comprendre l'origine de vos difficultés ! » Des années plus tard, il sera pourtant identifié HPI (haut potentiel intellectuel). « J'ai toujours senti que je fonctionnais différemment et j'ai pratiquement dû tout apprendre en autodidacte, comme par exemple, la programmation informatique. » Au Centre communal d'action sociale (CCAS) de Créteil, son dernier poste, c'est d'ailleurs lui qui informatisera tout le service. « Parce que j'avais un manager formidable qui était à l'écoute des différences et me laissait beaucoup d'autonomie, précise-t-il. Sans le sens de l'humain, l'inclusion n'est qu'un vain mot.» Stéphanie, quant à elle, a toujours eu la bougeotte. Diagnostiquée TDAH à 42 ans,  elle comprend mieux pourquoi elle a passé toute sa vie secouée entre des emplois temporaires. Laurent, autiste de haut niveau, ne supporte plus l'atmosphère survoltée des start-ups. Il envisage donc de se lancer dans l'entrepreneuriat.

Des compétences exceptionnelles

Les personnes neuroatypiques enrichissent les organisations grâce à leurs compétences recherchées et parfois exceptionnelles. Par exemple, celles avec autisme performent souvent dans des tâches nécessitant un traitement systématique de l'information, un degré élevé de précision et de répétition. Les TDAH, qui peuvent être très enthousiastes, multitâches et dotés de grandes capacités d'adaptation, excellent dans la gestion de l'urgence et les fonctions de leadership. Certains « dys » ont un sens artistique très développé leur permettant de briller dans ce secteur, comme par exemple l'univers du jeu vidéo, notamment en raison d'une capacité de visualisation en 3D supérieure à la moyenne.  

Une réalité de terrain plus nuancée

Pour autant, cela ne signifie pas que tous les autistes de haut niveau sont des génies de l'informatique et les « dys » des Pablo Picasso en puissance. « Il ne faut pas se focaliser sur le seul recrutement de personnes aux capacités hors normes, vision hélas trop souvent véhiculée par les médias, insiste Virginie Bouslama, présidente de l'association Typik'Atypik et maman de trois enfants diagnostiqués TND. Elles ne représentent qu'une petite minorité de la grande diversité des profils. » Comme en atteste, par exemple, le taux d'emploi des personnes autistes sévères qui reste proche de zéro ! 

60 % des neuroatypiques taisent leur spécificité

« Parler de sa neuroatypie au travail est encore un sujet tabou qui dépend très souvent du retentissement du trouble sur la vie quotidienne et sur les tâches dévolues dans le cadre d'une activité professionnelle, mais aussi de l'ouverture de l'entreprise à la différence », indique Virginie Bouslama. Selon un sondage Harris Poll-Underground, environ 60 % des personnes neuroatypiques préfèrent taire leurs spécificités au sein de la sphère professionnelle. Elles craignent les moqueries, la stigmatisation et les freins à l'évolution de carrière. Surtout dans certains secteurs d'activités (bâtiment, travaux publics...) où les différences sont encore plus méconnues et perçues comme des « faiblesses ».

Et si c'était un petit truc en plus ?

N'étant pas encore prête à faire son « coming-out dyslexique », Marine, 36 ans, préfère taire son vrai prénom. De la classe de CP, elle se souvient surtout de sa terreur à l'idée de lire devant tout le monde.  « Le fond de la classe, c'était le lieu où tous ceux qui avaient fini leur lecture pouvaient aller jouer, mais moi je n'y suis jamais allée !, raconte-t-elle. J'ai beau lire 20 fois un texte, je vais toujours confondre 'vont' et 'font'..." » Entourée de l'amour des siens et grâce à son acharnement, elle entame des études de sociologie. Mais, plus à l'aise avec les chiffres qu'avec les mots, elle bifurque rapidement vers la comptabilité. « Très tôt, mes parents ont eu l'heureuse idée de m'inscrire à des cours de théâtre qui m'ont permis de prendre confiance en moi et d'improviser plus facilement en cas de difficultés. » Reste qu'au travail, écrire un mail important peut lui donner des sueurs froides. Soutien indéfectible, sa sœur aînée, voire de rares collègues de confiance, vérifieront d'éventuelles fautes. Car Marine préfère ignorer les outils de compensation des nouvelles technologies. « Si le logiciel me propose deux versions, je ne verrai pas la différence, alors à quoi bon ? » Avec sa casquette d'élue municipale en charge de la jeunesse dans une petite commune de Seine-et-Marne, la jeune femme ne désarme jamais : « J'ai les grandes lignes de mes discours dans ma poche, mais je ne m'en sers que très peu, car je brode et me débrouille toujours. J'ai le sentiment que mes faiblesses m'ont permis de me dépasser. »

© Antoni Shkraba production de Pexels

Partager sur :
  • LinkedIn
  • Facebook
  • Blue sky
  • Twitter
Commentaires0 Réagissez à cet article

Thèmes :

Rappel :

  • Merci de bien vouloir éviter les messages diffamatoires, insultants, tendancieux...
  • Pour les questions personnelles générales, prenez contact avec nos assistants
  • Avant d'être affiché, votre message devra être validé via un mail que vous recevrez.