Baisse de salaire ou perte d'emploi, rupture du lien social, droits et reconnaissance insuffisants... A l'heure où la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, annonce un congé rémunéré pour les aidants à l'horizon 2020 (article en lien ci-dessous), le collectif Je t'Aide publie son deuxième plaidoyer « Pour qu'aider ne rime plus avec précarité ». Après s'être intéressé à la santé en 2018, il réclame, cette année, « des droits pour aider ». Pour le rédiger, l'association s'est appuyée sur des centaines de témoignages et d'expertises qui ont permis de définir quatre axes majeurs. Principale revendication : la création d'un statut d'aidant. Pour encourager la population à se faire l'écho de cette requête et favoriser une mobilisation à grande échelle, elle sort l'artillerie lourde : un hashtag et une pétition.
Travail gratuit et invisible
« Je suis 24h/24 aux côtés de mes enfants, 7 jours sur 7. Mon premier fils est autiste et ne dort pas, mon deuxième est porteur de trisomie 21. Il est sous surveillance toutes les nuits pour ses apnées du sommeil et sa malformation du larynx. Je les habille, les nourris, les amène régulièrement à l'hôpital... À deux, ils ont 22 rendez-vous avec des professionnels par semaine. » A lire les témoignages des aidants, la nature de l'aide est un travail à part entière : coordonner les interventions à domicile, accompagner aux rendez-vous médicaux, pallier parfois au manque de professionnels de soin, assurer l'intendance de la maison, le soutien moral, les « multiples » tâches administratives, la surveillance de jour comme de nuit, etc. « Sans ces 11 millions d'aidants, notre système de solidarité actuel ne pourrait pas faire face, estime le collectif. Un nouveau regard est indispensable pour les sortir de l'invisibilité et de l'assignation.» Il met en évidence « l'urgence » de cette reconnaissance. Leitmotiv : « un travail, exercé dans un cadre contractuel, apporte droits et rémunération ».
Conséquences économiques et professionnelles
Autre constat : aider coûte cher. « Avec plus de 300 euros de psychiatre par mois, je me sens souvent seule face à la maladie de ma fille, sans aide financière et sans savoir si je frappe aux bonnes portes pour l'accompagner », témoigne un aidant. Selon le baromètre CARAC 2017, 66 % d'entre eux dépensent 2 049 €, en moyenne, par an. Pour assurer ces frais, pas d'autre choix que de travailler. Même si, pour certains, le travail représente une bouffée d'oxygène, leur vie professionnelle est « fortement » impactée. Selon l'étude ORSE UNAF 2014, ils manquent de temps, sont « stressés », « fatigués » et les 3/4 ont dû s'absenter au cours des 12 derniers mois en dehors des congés payés. Dans ce contexte, concilier vie professionnelle et personnelle relève d'un numéro d'équilibriste. « Plus de temps consacré à l'aide équivaut à plus de fatigue et de reste à charge à débourser tout en travaillant autant que possible pour éviter une perte de salaire. Cette conciliation forcée entraîne, par ailleurs, un surcroît de charge physique et mentale, estime l'association. D'autre part, interrompre sa carrière pour aider, c'est précariser sa retraite car on ne cotise plus pendant cet arrêt. » Une situation qui pourrait prendre fin si Agnès Buzyn met en place des droits contributifs à la retraite, comme évoqué en avril 2019. Selon le collectif, cette interruption d'activité peut également avoir un impact négatif sur l'« employabilité ».
Large proportion de femmes
58 % des aidants sont en réalité des aidantes. Et plus le volume d'aide est élevé, plus la proportion de femmes augmente. « L'aidance, tout comme la parentalité, du fait d'une assignation genrée, a des conséquences majeures sur l'emploi des femmes », constate le collectif. Selon l'enquête Eurostat 2005, la part des femmes en emploi procurant une aide régulière à un proche de plus de 15 ans est deux fois plus importante que celle des hommes. Principal facteur : les revenus. « C'est souvent la comparaison des salaires au sein d'un couple qui assigne l'un ou l'autre à l'aidance, poursuit-il. Dans une société où l'écart salarial entre les hommes et les femmes est important, l'assignation de genre se trouve largement renforcée, précarisant par conséquent davantage les aidantes. »
Impacts conséquents sur la santé
20 % des aidants supportant une charge « importante » ont un risque de faire un « burn-out », selon une enquête de la Drees*, réalisée en 2012. Aider impacte la santé de façon hétérogène, selon le degré de charge ressentie (légère, moyenne ou importante) : problèmes de dos, troubles du sommeil, hypertension, maladies cardiovasculaires... « Des travaux soulignent également de forts impacts négatifs sur le volet familial : relations perturbées, disponibilité moindre vis-à-vis de ses enfants, fins de journées et week-ends sacrifiés, conflits dans les couples, etc. », ajoute l'association. Nombre d'aidants se sentent également isolés et cet éloignement a un impact néfaste sur leur santé psychologique et physique. « Ils ne ressentent pas l'aide qu'ils procurent comme utile et valorisante, notre société ne mettant pas en valeur leur rôle », explique le collectif. Selon lui, cette précarité « symbolique » stigmatise davantage l'aidante, engendrant même parfois un sentiment de « honte ». « Je suis infirmière et parce que je suis l'aidante de mon père, je me suis retrouvée au RSA, c'est la honte de ma vie », illustre l'une d'elles.
Précarité omniprésente
Si la « précarité » renvoie souvent à la question financière, les témoignages vont bien au-delà. « Les aidants décrivent la précarité comme un processus, une 'précarisation', qui s'attaque d'abord aux finances et, quand ces dernières s'amenuisent, elle ronge peu à peu toutes les sphères traditionnelles de l'accomplissement personnel : la vie professionnelle, sociale, affective, la capacité à se projeter dans l'avenir, mais aussi le logement, la santé, l'estime de soi », conclut le plaidoyer. Pour changer la donne, le collectif adresse 21 recommandations au gouvernement, à commencer par « politiser et médiatiser » ce sujet pour sortir de l'ombre, réduire l'écart salarial entre les sexes et développer des services de proximité « de qualité » pour prendre le relais et soulager les aidants.
* Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques