L'intelligence artificielle (IA), un allié de poids pour prévenir les troubles anxieux ? Plusieurs études ont mis en évidence le pouvoir prédictif de cette technique dans le cadre de troubles psychiques comme la dépression ou les addictions. Mais aucune ne s'était penchée sur les troubles anxieux... C'est désormais chose faite. Des chercheurs du laboratoire « Trajectoires développementales et psychiatrie » (Inserm) et du Centre Borelli (CNRS) ont identifié, grâce à l'IA, des signes avant-coureurs, à l'adolescence, qui augmentent « significativement » le risque de développer des troubles anxieux à l'âge adulte. Les résultats de l'étude ont été publiés dans la revue scientifique Molecular Psychiatry en décembre 2022.
Le trouble psychique le plus répandu à l'adolescence
« Les troubles anxieux sont la condition psychiatrique la plus répandue à l'adolescence, touchant près d'un individu sur trois », explique l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ils se manifestent par « une angoisse forte et durable sans lien avec un danger ou une menace réelle, qui perturbe leur fonctionnement normal et leurs activités quotidiennes ». L'âge moyen d'apparition est antérieur à 15 ans pour le trouble d'anxiété sociale et la phobie spécifique alors que les troubles paniques et d'anxiété généralisée ont tendance à se manifester un peu plus tard. Il existe également d'autres types de troubles anxieux, comme l'agoraphobie et le trouble d'anxiété de séparation. « De plus, ils peuvent être instables à l'adolescence, avant de se consolider davantage au début de l'âge adulte. Par conséquent, la détection des personnes à risque élevé de développer une anxiété clinique est cruciale », affirment-ils.
Une cohorte de 2 000 adolescents
Pour cela, les scientifiques ont suivi durant neuf ans l'évolution du diagnostic d'anxiété de plus de 2 000 adolescents âgés de 14 ans au moment de leur inclusion dans la cohorte Imagen. Les volontaires ont ainsi rempli des questionnaires en ligne renseignant leur état de santé psychologique à 14, 18 et 23 ans -seules les réponses de 580 d'entre eux ont finalement été prises en compte dans l'enquête, du fait notamment de désistements et du « contrôle qualité des mesures »-. « Une étude d'apprentissage statistique poussée s'appuyant sur un algorithme d'intelligence artificielle a ensuite permis de déterminer si certaines des réponses formulées à l'adolescence (14 ans) avaient une incidence sur le diagnostic individuel de troubles anxieux à l'âge adulte (18-23 ans) », ajoutent les chercheurs.
3 signes : neuroticisme, désespoir, symptômes émotionnels
Trois signes prédicteurs majeurs ont été mis en évidence. Primo, le neuroticisme, qui désigne une tendance persistante à ressentir des émotions négatives (peur, tristesse, gêne, colère, culpabilité, dégoût...), une mauvaise maîtrise des pulsions et une inadaptation face aux stress. Secundo, le désespoir, associé à un faible score de réponses aux questions évaluant l'optimisme et la confiance en soi. Enfin, les symptômes émotionnels recouvrent les réponses indiquant des symptômes tels que « des maux de tête et d'estomac », « beaucoup de soucis, souvent inquiet », « souvent malheureux, abattu ou larmoyant », « nerveux dans les nouvelles situations, perd facilement confiance », « a facilement peur ». D'autres signes avant-coureurs ont été hiérarchisés pour chaque individu, par exemple les liens familiaux, la consommation d'alcool, la détresse, l'âge, un accident, le degré d'autonomie... Cette découverte pourrait « permettre de détecter les personnes à risque plus tôt et de leur proposer une intervention adaptée et personnalisée, tout en limitant la progression de ces pathologies et leurs conséquences sur la vie quotidienne », se félicite Jean-Luc Martinot, directeur de recherche à l'Inserm et pédopsychiatre, co-auteur de l'étude.
Une IRM pour déterminer quel type de trouble anxieux
Les chercheurs se sont ensuite penchés sur l'observation du cerveau des volontaires à partir d'examens d'imagerie par résonnance magnétique (IRM). « Comme le développement du cerveau implique un changement de volume de différentes régions cérébrales à l'adolescence, nous avons voulu identifier dans ces images une modification éventuelle du volume de la matière grise qui pourrait être prédictive de futurs troubles anxieux », développent-ils. Résultat : si l'imagerie n'a pas permis d'améliorer la performance de prédiction de troubles anxieux dans leur ensemble par rapport aux seules données issues des questionnaires, elle pourrait néanmoins permettre de déterminer plus précisément un type vers lequel une personne est susceptible d'évoluer. Prochaine étape ? Une recherche interdisciplinaire sur les préventions adaptées... Toujours grâce à l'IA ?