Refus d'accès aux chiens guides : "Il faut changer la loi !"

Humiliation, stress, rejet. Ces sentiments sont éprouvés par nombre de maîtres de chiens guides subissant des refus d'accès. Une asso milite pour faire évoluer la loi et les reconnaître comme des discriminations, assorties d'une peine plus dissuasive

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Un homme et son chien guide tournent le dos à une voiture.

246 refus d'accès aux chiens guides recensés en 2024. Pourtant, la loi leur garantit un droit d'entrée dans tous les lieux ouverts au public et dans tous les moyens de transport. À l'heure où le chien guide d'aveugle symbolise liberté, sécurité et inclusion, trop de portes lui restent encore fermées. Christian Lair, malvoyant profond, vice-président de l'Association nationale des maîtres (ANM') de chiens guides, alerte sur cette « réalité inacceptable », à l'occasion de la Journée internationale dédiée à ces compagnons à quatre pattes, alliés de l'autonomie. Vingt ans après la loi du 11 février 2005 pour « l'égalité des chances », le combat continue...

Handicap.fr : Dans quel contexte avez-vous vécu des refus d'accès avec votre chien guide ?
Christian Lair, vice-président de l'ANM' chiens guides : Les refus d'accès ont principalement lieu dans les taxis et les VTC. Il y a quelques années, j'avais réservé ma course sur une plateforme VTC et, alors que la portière arrière était déjà ouverte, lorsqu'il l'a aperçu, le chauffeur s'est exclamé : « Non, je ne veux pas de chien ! », avant de démarrer en trombe. C'est extrêmement traumatisant. Il y a aussi ceux qui font demi-tour à la minute où je leur indique que je me déplace avec mon chien guide. Certains annulent la course sans aucune explication, d'autres me préviennent et me renvoient vers Uber Pet, qui oriente les clients vers des chauffeurs acceptant les animaux domestiques, ce qui, rappelons-le, n'est pas le cas du chien guide. Sans parler des difficultés d'accès, qui nécessitent de se battre quasi quotidiennement...

H.fr : Même topo dans les commerces ?
CL : Je sais que beaucoup de personnes aveugles ont été refoulées des commerces mais ce n'est pas mon cas, du moins pas encore. En revanche, des restaurants ou magasins avec des rayons alimentaires, oui. Cela tient, encore une fois, de la méconnaissance entre le chien domestique, de Monsieur et Madame tout le monde, et le chien guide ou d'assistance, qui permet de compenser le handicap.

H.fr : Quels sont les principaux motifs de refus ?
CL : L'hygiène est principalement évoquée, dans les magasins alimentaires et surtout les VTC. Alors que, lorsque le véhicule le permet, je propose systématiquement d'installer mon chien dans le coffre, et j'ai toujours sur moi une serviette de protection en cas de pluie pour éviter que mon chien salisse le véhicule. De même, la société Uber propose à certains chauffeurs de leur fournir une couverture de protection pour éviter le dépôt des poils notamment.

H.fr : Certaines personnes ont également peur des chiens. Comment réagir ?
CL : Tout à fait, certainement après avoir vécu un traumatisme. Il faut alors être diplomate et expliquer que les chiens guides ont été soigneusement sélectionnés et ont reçu une éducation spécifique garantissant qu'ils sont inoffensifs. Il n'y a aucun risque de morsure. Mon chien n'a pas une once de méchanceté en lui, il ne sait même pas se défendre face à ses congénères. Il est déjà revenu avec la cuisse en sang ne sachant pas comment réagir face à un chien agressif...

H.fr : Quelles sont les conséquences de ces refus d'accès ?
CL : Quand on obtient un chien guide, on se sent pousser des ailes, notre vie change complètement : nos déplacements sont fluidifiés, nous nous sentons capable d'aller partout et jouissons d'un cadre légal qui nous offre la possibilité de le faire, en théorie. Et puis c'est la douche froide. Un refus d'accès, puis deux, puis trois... C'est terriblement handicapant dans notre quotidien car on ne sait jamais si on arrivera à l'heure à nos rendez-vous. Et puis on éprouve une frustration et une injustice énormes, doublées d'un sentiment de rejet et d'exclusion. Nous voilà privés d'une vie sociale ordinaire. C'est comme si on ne faisait pas partie de la société et qu'on était sans cesse renvoyé à notre handicap. C'est une situation profondément humiliante qui provoque beaucoup de stress, à tel point que certains maîtres de chien guide envisagent de s'en séparer car il leur pose plus de problèmes que la canne blanche, alors qu'initialement il offre une autonomie et une sécurité bien plus importantes. C'est inadmissible et d'une tristesse...

H.fr : Une « situation humiliante » vécue 246 fois en 2024 (contre 227 en 2023 et 167 en 2022), malgré les textes en vigueur... Comment expliquer une telle hausse ?
CL : À titre personnel, je ne suis pas convaincu que les prestataires de service soient de plus en plus enclins à refuser les chiens guides. En revanche, le nombre de signalements a augmenté car ils sont facilités. L'ANM' chiens guides a notamment lancé une application via laquelle chacun peut déclarer un refus ou une difficulté d'accès. Néanmoins, ces infractions persistent notamment parce qu'elles ne sont pas suffisamment réprimandées. La sanction encourue pour un refus de chien guide est une amende de troisième classe, qui s'élève à 68 euros et peut atteindre 450 euros en cas de récidive. À titre d'exemple, écraser un mégot sur la voie publique est passible d'une contravention de quatrième classe, soit 135 euros. De nombreux commerçants et chauffeurs affirment préférer régler l'amende plutôt que de laisser entrer un chien.

H.fr : Raison pour laquelle vous souhaitez faire reconnaître chaque refus d'accès comme une discrimination. Quel est l'enjeu ?
CL : Ils ne seront plus considérés comme de simples infractions mais des délits, comme dans certains pays anglo-saxons. Le contrevenant serait donc passible d'une amende pouvant atteindre 45 000 euros - certainement en cas de récidives multiples mais la loi est ainsi faite -, assortie d'une peine d'emprisonnement (jusqu'à trois ans). C'est bien plus dissuasif !

H.fr : Quelle est la marche à suivre pour obtenir cette reconnaissance ?
CL :
Cela nécessite de changer la loi et, pour ce faire, un seul levier : sensibiliser. L'ANM' chiens guides, en collaboration avec la Fédération française des associations de chiens guides (FFAC), à laquelle nous sommes affiliés, communique énormément, via les réseaux sociaux ou encore des campagnes créatives comme celle diffusée à l'occasion des vingt ans de la loi de 2005, qui invitait à se demander : « Que ce serait-il passé si Harry Potter n'avait pas pu entrer à Poudlard à cause de son chien guide ? » (Chien guide: ne plus "fermer les yeux" sur les refus d'accès). L'histoire se serait brutalement arrêtée...

Nous faisons également de nombreuses interventions auprès des ministères et des parlementaires, qui détiennent le pouvoir de changer la législation. Nous avons récemment échangé avec la ministre déléguée au Handicap Charlotte Parmentier-Lecocq ainsi que des députés, début juin nous rencontrerons les sénateurs et, pour le moment, ils semblent réceptifs et sensibles à notre discours. Je pense que c'est en bonne voie...

H.fr : Vous militez également pour la revalorisation de la Prestation de compensation du handicap (PCH) dédiée à l'aide animalière. Tout d'abord, que permet-elle ?
CL :
Cette aide peut être demandée par tout maître de chien guide ou d'assistance afin de contribuer aux frais d'entretien de l'animal : croquettes, assurance santé, accessoires (panier, laisse, collier)... Elle comprend également le toilettage pour certaines races, comme le caniche royal qui, ne perdant pas ses poils, nécessite un entretien régulier, sinon il devient un mouton et on ne sait plus où est la tête ! Selon nos évaluations, ces frais oscilleraient entre 150 et 200 euros par mois, selon la race, la taille et les besoins du chien, alors que le montant de la PCH aide animalière s'élève à 50 euros par mois depuis sa création en 2006.

H.fr : En quoi cette revalorisation est donc primordiale ?
CL :
Les personnes déficientes visuelles subissent, comme bon nombre de personnes handicapées, un accès aux études puis à l'emploi beaucoup plus difficile et perçoivent donc, bien souvent, des revenus moindres. Beaucoup vivent avec l'Allocation adulte handicapé (ndlr : 1 033,32 euros par mois maximum) et le forfait cécité (ndlr : qui couvre par exemple les frais liés à l'embauche d'un assistant de vie, entre 30 et 50 heures par mois, soit 813,15 euros). Donc les 150 euros de reste à charge pour l'entretien du chien guide ne sont pas négligeables et peuvent le mettre « danger », si son maître est contraint de se rabattre sur des croquettes moins coûteuses donc de moindre qualité ou encore d'espacer les visites chez le vétérinaire. Nous exhortons à indexer cette aide sur le coût de la vie, ou autre indice économique, comme le sont déjà la plupart des autres allocations et prestations, qui, elles, sont revalorisées chaque année.

© Généré par Handicap.fr avec l'IA / Canva

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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