Roland-Garros : 33 mannequins amputés défilent pour l'équité

Émotion, audace et engagement : à Roland-Garros, 33 mannequins amputés de 9 à 77 ans ont foulé le court Philippe-Chatrier pour un défilé hors normes. Objectif : bousculer les préjugés et alerter sur les inégalités d'accès aux prothèses.

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Pauline Déroulène défile en short et veste à Roland-Garros.

Roland-Garros, 8 octobre 2025. La fashion week s'invite sur le mythique court Philippe-Chatrier, qui, le temps d'une soirée, troque son filet pour un podium. Sous les projecteurs, 33 mannequins amputés défilent pour briser les préjugés et dénoncer les inégalités de remboursement des prothèses. Enfants, seniors, para athlètes, artistes, travailleurs du quotidien… tous handicapés, tous appareillés, tous portés par une énergie commune : celle de la vie debout.

Devant plus de 600 spectateurs – anonymes, personnalités, mécènes et politiques confondus –, parmi lesquels Brigitte Macron, l'association Debout en Bouts, fondée par le journaliste de France Télévisions Matthieu Lartot, lui-même amputé, a orchestré une soirée où la mode rencontre le militantisme. « Vous allez en prendre plein les yeux », promet-il, des étoiles dans les siennes.

19h19. Quelques notes de piano. Une ballade. Un cri : « I will stand on my feet. » Tout un symbole… Le show démarre sous un tonnerre d'applaudissements.

Mettre en lumière « la France qu'on voit trop peu »

Les premiers pas sont hésitants, puis le court s'embrase. De Cléo, 13 ans, jeune espoir du tennis fauteuil et première ramasseuse de balles en fauteuil roulant, à Dimitri Pavadé, champion paralympique de saut en longueur, chacun défile avec sa personnalité, son histoire, son rythme. Les tenues, pensées notamment par pour s'adapter aux prothèses, célèbrent la liberté de mouvement. « Ça nous fait gagner un temps précieux quand on s'habille et ça facilite notre quotidien », se réjouit Richard, créateur de contenu et « fashion victime » assumée. « Ce défilé montre qu'on peut être handicapé et beau, sexy, avec du style », lance Dimitri Pavadé, fier d'avoir réalisé son rêve de devenir mannequin. « L'élégance est dans l'attitude, pas dans la norme », abonde Matthieu Lartot, qui s'est lui aussi prêté au jeu du podium.

À leurs côtés, Arnaud Assoumani, autre grand nom du handisport français, déambule avec une élégance et une énergie rares. « Ce soir, c'est l'humain qui a été mis au centre, confie le médaillé d'or au saut en longueur aux Jeux de Pékin 2008. À travers Debout en bouts, nous voulons montrer la France telle qu'on la voit trop peu : celle qui se relève, qui crée, qui transforme ses fragilités en puissance. »

Entre rires et frissons

Alors que l'émotion gagne le public après la présentation des premières pièces adaptées – qui mêlent confort, design et audace – Philippe Caverivière débarque pour « casser l'ambiance ». « J'aurais préféré être au défilé de lingerie Etam », plaisante l'humoriste, avant de saluer la force des para athlètes et mannequins d'un soir, parmi lesquels les champions de tennis fauteuil Stéphane Houdet et Pauline Déroulède. Puis il enchaîne, mordant :
« La seule chance d'avoir un Français sur le court central, c'est de faire un défilé pour amputés ! » Derrière la provocation, une vérité : ces corps que l'on cache d'ordinaire sont ici au centre, célébrés, sublimés.

Entre deux « catwalk », la scène se métamorphose. Danse, handiboxe, témoignages : la soirée alterne humour et émotion brute. « Ma vie n'a pas été kidnappée par le cancer ni par l'amputation, mais par le mauvais appareillage », confie Marie-Pascale. Grâce à une emboîture en silicone financée par Debout en Bouts, elle peut désormais se déplacer sans crainte. « Aujourd'hui, je revis ! » Pour accompagner toujours plus de personnes amputées, l'association, qui célèbre ses 17 mois d'existence, organise une vente aux enchères solidaires : photos officielles des Jeux de Paris 2024, bonnet de bain dédicacé par Léon Marchand. Derrière chaque objet, un même objectif : offrir, à d'autres, la liberté de se tenir debout.

Appel à la mobilisation collective

L'émotion laisse alors place à la revendication. « Trop de personnes appareillées manquent d'accompagnement. On a besoin de mesures politiques concrètes, d'entreprises, de médias, de volontaires mobilisés, comme c'est le cas ce soir », plaide Arnaud Assoumani. Les prothèses ne sont pas un luxe, mais une nécessité, rappelle le para athlète. Pourtant, les inégalités de remboursement restent criantes. En France, le montant pris en charge par l'Assurance maladie ou les assurances varie selon la cause de l'amputation : accident, maladie ou responsabilité d'un tiers. Résultat : certaines personnes peuvent être équipées d'un appareillage performant grâce à une assurance, quand d'autres doivent se contenter d'un modèle standard, moins adapté à leur mode de vie.

Vers une réforme du grand appareillage ?

Depuis sa création en juillet 2024, Debout en bouts milite pour une refonte de la législation sur le grand appareillage orthopédique. L'association dénonce un système obsolète, où les prothèses les plus innovantes - notamment celles destinées au sport ou à la vie active - sont souvent exclues du remboursement. Certaines lames de course peuvent ainsi atteindre 20 000 euros, parfois entièrement à la charge de l'usager (20 000 euros la prothèse sportive : encore peu accessible). Un combat que Matthieu Lartot et ses équipes veulent porter jusqu'aux décideurs politiques : pour que chacun, quelle que soit l'origine de son amputation, puisse avoir accès à un appareillage digne, fonctionnel et adapté.

D'autres évènements au programme

Fort de ce premier succès, Matthieu Lartot promet : « Ce n'est qu'un début. Nous voulons mobiliser la société, faire bouger les lignes. » D'autres événements sont déjà en préparation pour prolonger la mobilisation et maintenir le débat dans la lumière. Sur le court, les projecteurs se sont éteints, mais l'élan, lui, demeure. Derrière les sourires de Cléo, de Marie-Pascale ou de Dimitri, une conviction s'impose : l'inclusion n'est pas un slogan, c'est un mouvement en marche.

© Debout en bouts

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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