La santé mentale des Européens éprouvée par la pandémie

Hausse du stress et des idées suicidaires, stigmatisation... La pandémie a eu un impact majeur sur le quotidien des Européens, affectant notamment leur vie professionnelle. Enquête sur la santé mentale des salariés à l'épreuve de deux ans de crise.

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« Aujourd'hui, on est bien loin de l'image de 'Vol au-dessus d'un nid de coucou' mais la stigmatisation des troubles psychiques est encore présente », constate Mathieu Wilkens, psychologue. Ce film culte dénonce l'enfermement psychiatrique qui sévissait dans les années 80, entraînant toutes sortes de fantasmes « délirants » sur la santé mentale. Près de cinq décennies, plus tard, l'eau a coulé sous les ponts... Mais le quotidien des personnes présentant une dépression ou encore des troubles bipolaires n'est pas un long fleuve tranquille. Qui en est le responsable ? D'où vient cette stigmatisation ? Quel impact sur leur vie personnelle et professionnelle ? Fin juin 2022, l'Icas -une organisation internationale visant à prévenir les risques psychosociaux- dresse un panorama de la santé mentale, avec un angle tout particulier, celui des salariés européens à l'épreuve de deux années de crise sanitaire.

Des préjugés qui freinent la prise en charge

« Cette stigmatisation vient tout d'abord d'une ignorance qui peut conduire à des préjugés tels que 'Les personnes dépressives manquent d'autodiscipline ou sont paresseuses », explique Mathieu Wilkens. Les médias, réseaux sociaux et films peuvent également contribuer à cette image erronée. « Non, les personnes qui souffrent de maladies mentales ne sont pas plus criminelles que les autres ! », insiste-t-il. En conséquence, seule la moitié des personnes concernées évoqueraient leur diagnostic avec leurs proches, « tandis que 20 % tout au plus en parleraient au travail et seulement avec des personnes soigneusement choisies », poursuit le psychologue. De même, seul un tiers trouve le chemin vers un système d'aide médicale ou thérapeutique. « Et encore, ce sont des données optimistes », intervient-il, soulignant « le besoin criant de systèmes d'aide anonymes, accessibles et immédiats » mais aussi de sensibilisation à grande échelle.

Un programme de soutien psychologique européen

C'est l'ambition du programme d'aide et de soutien aux employés (EAP) proposé par l'Icas, qui publie une enquête basée sur 10 000 bénéficiaires par an en France, Allemagne, Suisse, Italie, Autriche et Luxembourg. Ce service offre, aux salariés et à leur famille, des conseils et une assistance par téléphone 24/7 ou live chat pour obtenir de l'aide et du soutien face à des problématiques émotionnelles et psychologiques, mais aussi jusqu'à huit séances en face-à-face (ou en distanciel) avec un psychologue sur le lieu de travail ou de télétravail. Elle propose aussi des « consultations managériales » pour sensibiliser et accompagner la direction, les fonctions RH (ressources humaines) et les managers. Leitmotiv ? « Outre la santé physique, la santé mentale est décisive pour le bien-être et la performance au travail. »

Accroissement des troubles psychiques pendant la pandémie

Premier constat de l'enquête : « Durant la pandémie, la nécessité de se concentrer sur la santé mentale a été reconnue, cela devient de plus en plus un sujet au sein des entreprises », se félicite Mathieu Wilkens, évoquant un « renversement de tendance ». Selon lui, « la génération Z (les personnes nées entre 1997 et 2010, ndlr) semble plus ouverte qu'aucune autre sur le sujet ». Pour preuve, en 2020, l'Icas a donné deux fois plus de (web)conférences au sein des entreprises. Mais ce besoin de communication accru est également lié à l'accroissement des troubles psychiques au fil du temps. Durant la première année de pandémie, la prévalence mondiale de l'anxiété et de la dépression a augmenté de 25 %, pointe l'étude. « C'est énorme ! », réagit le psychologue. 18 % des personnes interrogées ont déclaré souffrir de symptômes dépressifs graves en novembre 2020, lors du reconfinement. Des symptômes particulièrement fréquents chez les 14-24 ans (29 %), « une population importante puisqu'elle représente les futurs salariés ».

Explosion des maladies mentales d'ici 2030

Une intensification du stress marquée, notamment, par l'augmentation du nombre d'appels aux services de l'Icas (+ 71 % en trois ans) ainsi que des séances en face-à-face, qui se poursuit en 2022. Explication : « La pandémie a révélé de nombreux problèmes, dont elle n'était pas forcément la cause mais le déclencheur », indique Mathieu Wilkens. Les « cas suicidaires » ont également été multipliés par trois entre 2019 et 2021, dont 30 % liés à des problèmes au travail. A noter que cette donnée concerne seulement les « risques et idées » suicidaires, le taux de suicide n'ayant pas augmenté durant la pandémie. Selon l'Organisation mondiale de la santé, en 2030, les pathologies mentales représenteront la cause de maladie la plus fréquente. Mais cette demande croissante de soutien s'oppose à un déficit de traitement, lié à différents facteurs : manque de clarté sur le soutien le plus approprié, participation élevée aux frais médicaux, délais d'attente trop longs (par exemple en Allemagne et en Suisse, certains doivent patienter six mois, voire un an, pour consulter un psychologue).

Hausse du (télé)travail

Ces difficultés ont un impact important sur la qualité de travail... A moins que ce ne soit leur emploi qui affecte leur vie personnelle ? Les deux, assurément. Selon l'enquête de l'Icas, le taux d'incapacité de travail lié à des problèmes privés a quasiment doublé entre 2019 et 2022, passant de 7,3 % à 14 %. Tandis que celui lié à des problèmes professionnels est passé de 15 % à 29,5 %. La pandémie a occasionné deux changements majeurs en emploi : le modèle « one fits all », où les salariés se rendaient au bureau tous les jours, a laissé place à un modèle hybride, dans lequel ils travaillent la moitié du temps à distance. « Pour s'y adapter, différents types de conseils psychologiques sont toutefois nécessaires », alerte Mathieu Wilkens. Deuxième changement notoire : « le fait d'être 'always on' ». En télétravail, « les salariés sont plus prompts à consulter leur mail le soir et, in fine, à travailler plus », ajoute-t-il. En effet, 47 % de ceux interrogés ont « besogné » plus de 40 heures par semaine en 2021, soit une augmentation de 15 % en un an, entraînant, de fait, une multiplication par trois des demandes psychologiques dues à une surcharge de travail en trois ans.

Des modes de contact diversifiés

Plus connectés au numérique mais moins à leur équipe… Leur motivation, la relation avec les managers, leur sentiment de reconnaissance et leur esprit d'équipe s'en trouvent alors détériorés. « Le développement du leadership, le coaching et les ressources qui permettent aux managers de reconnaître ces difficultés apparaissent alors comme essentielles », affirme le psychologue. 67 % des collaborateurs estiment d'ailleurs que leurs cadres devraient être plus attentifs à leur santé mentale. « Ils sont pourtant engagés et veulent soutenir leurs collaborateurs mais ne savent pas comment », poursuit-il, observant une hausse de 70 % des services de consultations managériales durant la pandémie. Face à cette demande de soutien croissante, l'Icas a proposé différents modes de contact. Outre les consultations vidéo, « celles par tchat ont explosé depuis 2019 », indique le spécialiste, évoquant une multiplication par huit de « ce système instantané » qui permet un « échange plus direct et plus profond ». Selon l'organisation mondiale, ses entretiens personnalisés, de quelque nature qu'ils soient, ont permis « une amélioration de l'état psychique » (diminution des troubles du sommeil, du sentiment de nervosité et de tristesse). Ainsi, la part des collaborateurs qui se sont estimés « pleinement performants » a pu être augmentée de 30 % à 67 % grâce aux prestations de l'Icas. Si elle admet donc des progrès ces dernières années, certaines difficultés persistent. Elle exhorte donc les décideurs européens et les entreprises à « renforcer la priorité accordée à la santé mentale » et à proposer des possibilités de soutien immédiat et à « bas seuil », c'est-à-dire avec un faible niveau d'exigence et de contraintes imposées aux salariés.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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