"Schizo" : le mythe Dr Jekyll and M. Hyde colle à la peau!

Assassins, "fous à lier", dotés de plusieurs personnalités... Les préjugés sur la schizophrénie sont légion. La mission de Laurent Lefebvre ? Les combattre. Diagnostiqué à 23 ans, il dévoile sa vie avec "une maladie qui ne suscite aucune empathie".

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Un homme, de dos, dit "stop" avec sa main à une ombre menaçante.

« La schizophrénie est la maladie de tous les préjugés. » Quels sont-ils ? Comment y faire face ? Laurent Lefebvre, 58 ans, répond « cash ». Médiateur et pair en santé mentale, il forme des médecins et d'autres professionnels des hôpitaux et instituts médico-sociaux au principe du rétablissement et du partenariat en santé.

Handicap.fr : Quel est le préjugé le plus courant sur la schizophrénie ?
Laurent Lefebvre : Le fait d'avoir plusieurs personnalités et d'être des assassins potentiels, d'entendre des voix qui nous incitent à aller tuer une personne, au hasard, dans la rue. Le fameux mythe de Dr Jekyll and M. Hyde nous colle à la peau ! Or il n'y a aucune raison d'avoir peur de nous. AUCUNE.

H.fr : Quel type de réflexions ?
LL
 : Ce ne sont pas tant des réflexions que des réactions. Il y a quelques années, je suis allé voir une expo avec ma prof d'arts plastiques. Lorsque j'ai évoqué ma schizophrénie, j'ai senti ce malaise, pesant, qui m'est désormais familier. A posteriori, elle m'a avoué avoir eu « la trouille ».

H.fr : Une réaction particulièrement blessante ?
LL
 : Une femme, avec qui tout collait, a mis fin à notre relation parce qu'elle avait peur que, si je m'attache vraiment à elle, je me suicide en cas de séparation. Le pire, c'est qu'elle était au courant de ma schizophrénie puisqu'en tant que journaliste elle m'avait interviewé sur mon parcours et écrit plusieurs articles sur le sujet. Mais elle n'a pas réussi à dépasser ses préjugés...

H.fr : Qu'avez-vous répondu ?
LL
 : Qu'elle se trompait, que j'étais un homme debout. J'ai fait tout un parcours de rétablissement, jusqu'à courir un marathon en 5h50 sous antipsychotiques. C'est ça le drame, malgré un parcours plutôt valeureux, l'étiquette « schizophrène » est extrêmement difficile à ôter.

H.fr : Que ressent-on face à ce genre de réactions ? Colère, tristesse, lassitude ?
LL
 : Un peu de colère, forcément, mais surtout de la tristesse pour l'humanité... De voir que, malgré mes innombrables interventions, interviews, conférences et autres tentatives de sensibilisation, les stéréotypes demeurent, bien ancrés.

H.fr : Que répondez-vous à ceux qui considèrent les schizophrènes comme des « déséquilibrés » ?
LL
 : C'est tout le contraire ! Après plusieurs années de souffrance, on arrive à faire un parcours de rétablissement, qui a nécessité de puiser au fond de nos ressources personnelles. Donc, finalement, on se connaît beaucoup mieux que la plupart des gens et on en ressort bien plus équilibré. Beaucoup pensent que les schizophrènes sont « fous » ad vitam aeternam. Faux !

H.fr : Quel impact peuvent avoir ces préjugés ?
LL 
: Ils provoquent souvent d'autres problèmes de santé mentale : dépression et parfois même suicides. Sur 10 000 personnes qui mettent fin à leur jour chaque année en France, environ 8 000 présentent des troubles psychiques, notamment la schizophrénie. Ce qui me tue, moi, c'est que tout le monde s'en fout...

H.fr : Cette année, le credo de l'association PositiveMinders, à l'initiative des Journées de la schizophrénie, du 16 au 23 mars 2024, est particulièrement cash : « Comment vivre avec une maladie qui ne suscite aucune empathie ? ». Ça vous parle ?
LL
 : Complètement, voilà pourquoi c'est si compliqué d'en guérir... La société détourne les yeux face aux maladies mentales. On a l'impression d'être des parias, des individus qui dérangent. Si vous avez un cancer, les gens vont vous plaindre, être empathiques, prendre de vos nouvelles ; en cas de schizophrénie, ils fuient, pour la plupart.

H.fr : Alors, Laurent, concrètement, comment vivre avec une maladie qui ne suscite aucune empathie ?
LL 
: Personnellement, je me suis donné une mission : déstigmatiser, notamment via l'écriture d'un livre en collaboration avec d'autres personnes concernées et des professionnels. J'ai opté pour un roman afin de toucher le plus grand nombre et ne pas être cantonné à des maisons d'édition spécialisées dans les récits de vie. Aider mes pairs et contribuer à bâtir une société plus tolérante, c'est ce qui donne aujourd'hui un sens à ma vie, et il n'y a pas 36 000 façons de le faire, c'est par les arts.

H.fr : Parlons du septième art justement... Positive Minders lance la campagne « SchizAwards » pour « arrêter de se faire des films sur la schizophrénie » (Lire l'article : Schizophrénie : quel film remporte l'award des stéréotypes?). L'ironie et l'humour sont-ils, selon vous, de bons outils pour briser les idées reçues ?
LL
 : Absolument, l'humour est une arme de déstigmatisation massive, l'autodérision aussi ! Cette cérémonie décerne des prix à des films qui véhiculent une image erronée de la schizophrénie, mais aussi aux bons élèves.

H.fr : Quel film remporte la palme du plus stéréotypé ?
LL 
: Psychose, réalisé par Alfred Hitchcock en 1960, est un chef d'œuvre... de stéréotypes, où la schizophrénie est incarnée par un meurtrier avec une double personnalité, la sienne et celle de sa mère. La musique, particulièrement angoissante, y est aussi pour beaucoup, à tel point qu'à la fin du film, les spectateurs se disent qu'il ne faut surtout pas croiser une personne « psychotique ». Idem pour Shining, réalisé par Stanley Kubrick en 1980... Les films d'horreur nous desservent !

H.fr : A contrario des films qui reflètent davantage la réalité ?
LL
 : Un homme d'exception, réalisé par Ron Howard en 2001, relate l'histoire de John Nash, prix Nobel d'économie, diagnostiqué d'une schizophrénie paranoïde en 1959. Ce film explique assez bien les épisodes de décompensation -rupture de l'équilibre psychique-, et met en lumière le parcours d'un homme qui a réussi à reprendre le pouvoir d'agir sur sa vie, jusqu'à obtenir la récompense suprême.

H.fr : Et plus récemment ?
LL : En 2021, Le soleil de trop près, de Brieuc Carnaille, conte l'histoire d'amour de Basile, qui vient d'être d'obtenir son diagnostic. Son côté cash est parfois dérangeant car il nous fait revivre des évènements qu'on a essayé d'oublier mais il a le mérite d'informer sur ce trouble, et l'information engendre la compréhension, qui combat la peur. Un film utile, donc, et d'une rare intensité !

© Canva

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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