Par Sandra Laffont
Tout est parti de la rencontre à Marseille entre une "mère déterminée" pour la scolarisation de son fils ayant des troubles autistiques et d'une avocate. Un an plus tard, leur combat a pris de l'ampleur et essaime au national...
Pas d'AESH, pas de progrès
Nabila Amraoui, mère de trois enfants, veut que son fils Nessib apprenne avec les autres, à l'école ordinaire. L'an dernier, il s'est retrouvé déscolarisé de sa moyenne section de maternelle après le non-remplacement de la personne dédiée à son accompagnement, son AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap). "Jamais je ne me serais emparée de ce dossier si je n'avais eu face à moi une maman aussi déterminée à défendre les droits de son fils", explique à l'AFP Me Eglantine Habib, avocate marseillaise spécialisée dans le contentieux de masse sur l'amiante. Elle trouve les traces d'un référé-liberté -procédure d'urgence si une liberté fondamentale est menacée- utilisé dans ce cas. Pour Nessib, l'urgence était là : il régressait, oubliait les couleurs, perdait en motricité.
Effet boule de neige
Dans sa décision du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Marseille a reconnu que cette situation portait "une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'éducation" et a enjoint l'académie d'Aix-Marseille à lui affecter une AESH sous dix jours. Ce dossier a créé un effet boule de neige. "On recherchait une vraie solution, rapide, efficace et duplicable", raconte Laëtitia Sarre, cofondatrice du collectif "Où est mon AESH ?", émanation de l'association de parents d'élèves MPE13. Le fait d'avoir médiatisé son retour à l'école "a libéré la parole des parents" souvent désemparés, analyse Christophe Merlino, président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) des Bouches-du-Rhône. Les parents se regroupent via Facebook ou Whatsapp : "Le fardeau, on le porte à plusieurs au lieu de le porter seule", témoigne Ange, qui ne souhaite pas donner son nom de famille.
"L'inclusion, personne n'en parle"
Si l'académie d'Aix-Marseille assure à l'AFP que 95 % des demandes d'AESH sont couvertes (13 000 élèves accompagnés par 5 000 AESH) et qu'ils "mettent tout en œuvre pour répondre aux demandes qui augmentent", Me Habib reçoit de nouveaux dossiers quasiment chaque jour. La plupart des référés-liberté ont une issue favorable. "A 14h, on avait la décision et à 16h, l'académie appelait l'école pour dire que la situation serait réglée lundi", se souvient Laëtitia Sarre, pour son fils Lucas, 12 ans, qui avait une AESH mais en-deçà des heures auxquelles il a droit. Mais le succès n'est pas automatique. Linda Keraouche et trois autres mères de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) en ont fait l'amère expérience : "J'ai l'impression qu'on est des gens oubliés, l'inclusion personne n'en parle. Mon fils Naïl va à l'école mais sans accompagnement il n'arrive pas à rentrer dans l'apprentissage". Ces mères nourrissaient de grands espoirs après avoir entendu parler de Me Habib sur les réseaux sociaux. Mais le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur requête le 4 novembre. L'académie de Créteil a indiqué que des AESH avaient bien été recrutées pour ces enfants. Même si dans les faits, elles ne sont pas là. "Nos enfants sont toujours livrés à eux-mêmes", s'émeut Mme Keraouche.
Recensement des AESH manquantes
Le métier d'AESH manque d'attractivité et les difficultés de recrutement sont encore plus criantes dans les quartiers populaires. Temps partiel imposé, salaire moyen de 760 euros mensuels selon les syndicats, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer reconnaissait début novembre que le système est "imparfait notamment sur le sujet de la rémunération". Néanmoins, il préfère regarder le "chemin parcouru" avec 400 000 élèves en situation de handicap désormais scolarisés, soit 100 000 de plus sur cinq ans. Mais, pour Christophe Merlino, "il faut plus de moyens pour l'école inclusive". Sa fédération lancera au niveau national un outil de recensement des AESH manquantes en collaboration avec Me Habib. La MPE13 a, elle, lancé un appel aux dons pour financer les actions en justice de certaines familles. Me Habib, portée par cette émulation, envisage de se consacrer à temps plein à ce combat, convaincue que la justice peut faire bouger les lignes comme elle l'a fait en 2002 pour les victimes de l'amiante.