Les personnes handicapées ont gagné 20% de logements neufs accessibles. Un ouf de soulagement et un grand merci au Sénat ? Pas vraiment. La bataille des chiffres autour de l'article 18 de la loi ELAN (Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique), controversé depuis des mois, continue de faire rage au sein du Parlement : 10%, et maintenant 30%. En juin 2018, l'Assemblée avait donné le feu vert à cette mesure qui prévoit le passage de 100% à 10% de logements accessibles aux personnes handicapées dans la construction neuve, les 90% restants devant être « évolutifs », c'est-à-dire rendus accessibles à l'issue de « travaux simples » (articles en lien ci-dessous).
30% pour le Sénat
Depuis le 17 juillet, c'était au tour du Sénat de se pencher sur ce texte. Les groupes socialiste et communiste ont déposé un amendement pour retirer cet article, sans être entendus par leurs confrères. Ce jour-là, une manifestation organisée à l'initiative du Collectif Ambition logement, qui rassemble, entre autres, APF France handicap et le GIHP (Groupement pour l'insertion des personnes handicapées), avait fait entendre sa colère jusque devant les portes du Sénat. Mais rien n'y a fait. Les sénateurs ont donc officiellement entériné le quota de 30%.
Pression du lobby immobilier
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Un collectif composé de sept associations, dont l'Anpihm, devenue experte sur cette question, s'est fendu d'un communiqué dans lequel il dénonce un « inepte marchandage », qui « accroît les inégalités entre les citoyens ! ». Et de citer des chiffres sans équivoque, notamment dans le logement social neuf : « Le nombre d'appartements HLM accessibles sera en moyenne a minima de 2 200 et au maximum de 6 600 chaque année ! Soit un pour 30 000 habitants ou un pour 10 000 habitants… Quelle avancée ! » Le collectif dénonce un « mensonge » et assure que la Fédération française du bâtiment a « inspiré quasiment mot pour mot l'exposé des motifs » de cet article, prenant comme argument que, dans une crise du logement, ces normes handicap paralyseraient la construction. La notion de « travaux simples » laisse un champ ouvert à toutes les interprétations. « Mais à qui pourra-t-on faire croire qu'abattre tout à la fois la cloison d'une salle de bains, d'une pièce (ou de plusieurs selon la configuration de l'appartement) pouvant servir de chambre (voire d'un placard ou d'une penderie attenante), d'un séjour, d'une cuisine, pour ensuite reconstruire ces cloisons à une dizaine ou une vingtaine de centimètres plus loin puisse être qualifiés de 'travaux simples' ? », questionne le collectif.
Nombreux avis contraires
La fronde n'est pas seulement alimentée par les associations de personnes handicapées. Ce principe de quota, quel que soit son taux, est contraire à la loi handicap de 2005, contraire à la Convention internationale des droits des personnes handicapées de l'ONU, contraire à la décision du Conseil de l'Europe, contraire à l'avis du Défenseur des droits et évidemment contraire à la position du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). En dépit de tous ces « contraires » (articles en lien ci-dessous), le législateur s'obstine à vouloir faire passer une réforme, par essence, discriminante. « Peu importe que les personnes concernées ne puissent choisir leur logement en toute liberté. Peu importe que leur vie sociale soit bafouée ! », poursuit le collectif. Il appelle les « sénatrices et sénateurs de bonne foi à engager un recours auprès du Conseil constitutionnel ».
Humiliation par la communauté handicap
De son côté, l'Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP) parle « d'une humiliation par la communauté handicap » et ne comprend pas « le sens donné à la rupture avec le principe d'accessibilité universelle, selon lequel l'accessibilité et une nécessité et/ou un confort pour la population entière ». Il s'agit, selon lui, d'une « vision à court-terme qui ne prend pas en compte le vieillissement de la population, un enjeu majeur de notre société de demain ». « Dans le cadre du plan dépendance qui sera débattu en 2019, annoncé au congrès de Versailles par Emmanuel Macron, comment faire du maintien à domicile de nos aînés un chantier prioritaire dans les années à venir si les futurs logements ne sont pas prêts à les accueillir ? », s'interroge Matthieu Annereau, son président, élu et lui-même non-voyant.
Besoin de concret
Jugeant cette proposition « déraisonnée et déraisonnable », il propose une « part du logement accessible dans le neuf à 50% », une demi-mesure qui le distingue des autres associations arque boutées sur un 100% accessible. Plus ouvert au consensus, il réclame une définition concrète de la notion de « logement évolutif », ainsi que la garantie que les travaux d'accessibilité incomberont bien au bailleur et non pas au locataire en situation de handicap. L'unanimité se fait néanmoins autour d'une demande récurrente : l'obligation d'équiper les bâtiments d'un ascenseur à partir de trois étages contre quatre aujourd'hui. La secrétaire d'État en charge du handicap, Sophie Cluzel, a fait naître l'espoir le 24 juin 2018 dans les colonnes du Journal du dimanche, affirmant qu'un décret en ce sens était en cours de préparation (article en lien ci-dessous). Effet d'annonce ?
Et maintenant ?
Quelle sera la prochaine étape ? La navette parlementaire reprend sa route. L'article 18 sera discuté en commission mixte paritaire qui réunit députés et sénateurs en cas de désaccord persistant entre les assemblées sur un projet ou une proposition de loi. 10 % ? 30% ? Une moyenne ? Une cote mal taillée ? Pour l'heure, impossible de savoir à quel quota les personnes handicapées vont être logées…