« Plusieurs fois, depuis que j'exerce mon métier d'auxiliaire de vie, les personnes âgées hommes se sont permises d'avoir les mains baladeuses et m'ont proposé, à plusieurs reprises, d'avoir des rapports sexuels moyennant finances. » Des témoignages comme celui-ci, la Défenseure des droits, Claire Hédon, en a recueillis des dizaines dans le cadre du 15e baromètre sur la perception des discriminations dans l'emploi . Publiée le 7 décembre 2022, cette étude consacrée aux services à la personne révèle un phénomène « systémique » lié au genre, à la classe sociale et à l'origine. Un quart des professionnels du secteur (23 %) dit avoir été victime d'un traitement défavorable, à la fois dans le cadre de sa recherche d'emploi et de sa carrière, des chiffres qui sont en réalité à l'image de la population active globale (25 %). Mais quelles sont les particularités de ces discriminations ? Sous-estimation des compétences, attribution de tâches ingrates, comportements gênants, insultants ou humiliants...
Des métiers encore invisibles
Intervenant dans des missions de la vie quotidienne (entretien de la maison, jardinage…), d'assistance et d'accompagnement aux personnes âgées ou dépendantes, en situation de handicap, aux familles (gardes d'enfant à domicile, soutien scolaire...), ces professionnels sont considérés comme des travailleurs de « première ligne » mis en lumière par la pandémie de Covid-19. « Alors que des études ont documenté les difficiles conditions de travail et la sous-valorisation de ces métiers, les inégalités de traitement ou harcèlements discriminatoires subis par ces travailleuses et travailleurs dans l'exercice de leur profession ont été peu explorés », justifie la Défenseure des droits. Les métiers du « care » (« soin », en français) restent invisibles alors qu'ils constituent « le nouveau visage des milieux populaires salariés », selon les auteurs de l'étude. Rappelons qu'avec entre 1,3 et 1,5 million de salariés (différents chiffres circulent), les services à la personne représentent l'un des domaines d'activité les plus porteurs, avec une forte croissance depuis les années 1990.
Harcèlement sexiste et raciste
La surreprésentation des femmes, 87,3 % en 2015 selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), et la prédominance hiérarchique masculine font le lit d'un système de domination sociale et patriarcale. Résultat, les cas de harcèlement sexuel sont monnaie courante : environ une personne sur six (16 %) a déjà été touchée sur les seins, les fesses, le sexe ou le haut des cuisses (contre 12 % pour la population active globale). Les remarques sur l'apparence physique sont parmi les critères de discrimination les plus cités. Viennent ensuite les propos déplacés en lien avec l'origine ou la couleur de peau (une sur deux de celles qui sont nées à l'étranger en a été victime, soit le double des personnes perçues comme blanches) : « Il y a deux ou trois personnes âgées qui sont un peu 'vieille France' et qui ont parfois des propos (racistes), pas forcément vis-à-vis de moi, mais de gens, d'infirmières… », révèle une aide à domicile.
Le handicap comme motif de discriminations
Par ailleurs, 12 % des personnes sondées déclarent avoir été la cible de comportements gênants, insultants ou humiliants du fait de leur état de santé. Les salariées du secteur sont, en effet, plus touchées par le handicap ou des maladies chroniques (28,6 % d'entre elles contre 19,9 % pour le reste de la population active). « Chez certaines personnes chez qui j'allais travailler, on m'a dit 'vous ne pouvez pas faire ci, vous ne pouvez pas faire ça, vous ne m'êtes d'aucune utilité par rapport à votre handicap', donc ce sont des choses qui blessent parce que (…) j'ai eu l'aval pour pouvoir retravailler », confie l'une des personnes interrogées.
Si de nombreux témoignages illustrent les problèmes avec des usagers, il semble que les discriminations émanent en premier lieu de la direction de l'organisme employeur, du supérieur hiérarchique et des collègues de travail. Par exemple, 25 % des salariées témoignent de demandes illégales lors d'un entretien pour un poste ou une promotion.
Des conséquences sur la santé mentale
Les conséquences de ces actes sont nombreuses, à la fois sur le plan professionnel, avec des ruptures de contrat plus fréquentes que dans l'ensemble de la population active, et aux niveaux social et psychologique. Près de 70 % des professionnelles du secteur admettent avoir traversé une période où leur santé mentale s'est dégradée (tristesse, fatigue, dépression, peur, sentiment d'isolement) et 38 % ont subi ces répercussions psychologiques sur le long terme. D'autant que les recours au droit sont rarement activés. Si 67 % des travailleuses ont pris la parole à ce sujet, la plupart n'en ont pas référé à leurs supérieurs ni aux syndicats ou représentants du personnel, mais uniquement à leurs proches. « Ce non-recours résulte aussi de la quasi-absence de collectifs de travail, la dissémination des salariées auprès de différents bénéficiaires de services et l'absence parfois de hiérarchie bien identifiée », souligne l'enquête.
A ce titre, la DDD « exige » des pouvoirs publics « la mise en œuvre d'une politique volontariste de revalorisation des métiers des services à la personne et plus largement des métiers à prédominance féminine, qu'il s'agisse des revenus, des conditions de travail, de la protection sociale et juridique, de la formation ou de la reconnaissance statutaire ».
Photo : Dossier de presse DDD