Travail social : 50 000 salariés manquent à l'appel

Des enfants en danger sur liste d'attente pour bénéficier d'un éducateur, des seniors qui peinent à trouver une aide à domicile... Partout en France, le secteur du travail social est confronté à des difficultés de recrutement inédites.

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Par Arnaud Bouvier

"La situation est catastrophique. On a des foyers pour personnes handicapées qui renvoient leurs résidents deux jours par semaine dans leur famille, faute de personnel pour les prendre en charge", explique à l'AFP Alain Raoul, le président de Nexem, une fédération d'employeurs associatifs dans les secteurs social, médico-social et sanitaire, qui organise les 15 et 16 septembre 2022 à Nantes la "Mêlée", les "1ères rencontres de l'action sociale et de la santé".

50 000 postes vacants

Dans l'ensemble de la branche, qui vient en aide aux enfants en danger, aux personnes handicapées ou âgées ou encore aux sans-abri ou aux femmes victimes de violences, au moins 50 000 postes sont vacants, sur 850 000 au total, selon les chiffres de Nexem. Pour les salariés en place, "le manque d'effectifs entraîne une grande pénibilité, qui peut conduire au burn-out. Certains finissent par quitter le secteur". Et la situation risque d'empirer, avec 150 000 départs à la retraite prévus d'ici 5 ans, s'inquiète M. Raoul. Avec des salaires à peine plus élevés que le Smic -un éducateur spécialisé débutant gagne 1 477 euros net par mois-, ce sont des "travailleurs pauvres" qui doivent venir en aide à des publics fragiles, pointe ce responsable.

Un coup de pouce aux salaires

Le gouvernement a annoncé le 15 septembre 2022 un léger coup de pouce à leur intention : 800 000 travailleurs sociaux du secteur associatif devraient bientôt bénéficier d'une hausse de salaire de 3,1 % (article en lien ci-dessous). Une mesure bienvenue, juge le président de Nexem, même si elle ne "règle pas entièrement la question des bas salaires". La pénurie est également criante dans l'aide à domicile aux personnes âgées, où 50 000 postes sont vacants, et peut-être 200 000 d'ici la fin de la décennie, selon la Fédération du service aux particuliers (FESP). "Nous sommes obligés de refuser environ 15% des nouvelles demandes de prise en charge. Les familles ne savent plus à qui s'adresser", explique Olivier Lebouché, président des agences "Petit-Fils", réseau privé d'aide à domicile.

Les listes d'attente s'allongent

Dans le secteur de l'aide aux enfants en danger, les listes d'attente s'allongent : lorsqu'un juge ordonne une mesure éducative pour un mineur, celle-ci ne peut pas être exécutée avant des mois, faute de professionnels. En Loire-Atlantique, un foyer pour mineurs a ainsi dû fermer ses portes au début de l'été, explique à l'AFP Cyril Durand, le directeur général de l'association Linkiaa qui gère le lieu. Les jeunes ont dû être répartis dans d'autres structures. Les démissions ont "explosé", et Linkiaa doit jongler au quotidien avec "plusieurs dizaines de postes non pourvus", sur 500 environ. "D'autres secteurs peinent à recruter, mais nous on n'est pas l'hôtellerie-restauration : si des services doivent fermer, c'est une mission d'intérêt général qui est mise à mal, et cela va renforcer les inégalités sociales", analyse M. Durand.

Des métiers qui ont du sens

"On gère le quotidien, mais on n'a pas le temps de faire plus", souligne pour sa part Nathalie Le Maire, directrice générale d'Esperem, une association francilienne qui emploie 400 salariés dans l'insertion, la protection de la jeunesse ou la médiation familiale. Surtout, "on a déjà du mal à stabiliser nos propres services, alors quand les pouvoirs publics lancent des appels d'offre pour ouvrir de nouveaux dispositifs, nous ne pouvons pas répondre". Le manque d'attractivité de la branche se fait sentir dès la formation, avec parfois 10% des étudiants qui abandonnent avant même d'entrer dans la profession, pointe Manuel Pélissié, directeur de l'institut régional de formation en travail social (IRTS) Parmentier à Paris. Pour autant, ces étudiants auront la chance de "pouvoir choisir leur employeur", observe ce responsable, pour qui il faut "sortir d'un discours général de complainte", car "la réalité ne se résume pas aux difficultés", "il y a encore beaucoup de gens qui sont épanouis dans ces métiers".

Malgré les difficultés, "j'ai souvent envie d'être positive", abonde Laurence Jacquon, de l'ADMR, un des principaux réseaux associatifs d'aide à domicile pour les seniors. "La crise du Covid a fait réfléchir : les gens recherchent désormais des métiers qui ont du sens. Et là-dessus, nous sommes bien placés, par définition".

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