« Une femme handicapée est avant tout une femme, un couple en situation de handicap est avant tout un couple et, à ce titre, il est tout à fait légitime qu'ils souhaitent avoir une vie affective et sexuelle épanouie, être parents et fonder une famille », affirme l'Académie nationale de médecine (ANM) dans son rapport " Handicaps moteurs, sensoriels et parentalité ", publié fin mai 2025. Et pourtant, malgré les progrès accomplis depuis la loi « handicap » de 2005, nombre de Français sont encore confrontés à des freins persistants dans les domaines de la santé sexuelle, de la parentalité et de l'accès aux soins gynécologiques ou andrologiques... Ce document de 33 pages dresse un état des lieux de la situation et formule des propositions concrètes pour améliorer leur prise en charge.
Un regard médical et sociétal négatif
Entre 2 000 et 3 000 femmes ou couples porteurs de handicap moteur/sensoriel envisagent une grossesse chaque année, selon les estimations. La principale difficulté rencontrée ? La stigmatisation. Le rapport pointe le « regard négatif » porté par « la société au sens large mais bien plus par les médecins ou personnels soignants qui, spontanément, font bien souvent part de leur réserves et/ou déconseillent toute grossesse alors même qu'ils ne disposent pas toujours des connaissances suffisantes leur permettant d'évaluer possibilités, risques et difficultés ».
Manque de ressources humaines et matérielles
Autres obstacles : déficit en ressources médicales susceptibles de prendre en charge chaque type de handicap (entraînant des suivis inadéquats ou obligeant les patients à des déplacements compliqués et coûteux) ; manque de professionnels de toutes catégories formés (médecins, sages-femmes, assistantes sociales...) ; difficultés d'accès à certaines prises en charge (suivi gynécologique, contraception, traitement de l'infertilité, recours aux techniques d'assistance médicale à la procréation, conseil génétique, au diagnostic préimplantatoire ou au diagnostic prénatal).
Des établissements peu accessibles
L'Académie de médecine constate également un manque d'information sur les filières de prise en charge existantes pour certaines pathologies spécifiques, surtout lorsqu'elles sont rares. « Les associations de patients répondent souvent à cet impératif d'information sans toutefois avoir une connaissance des ressources locales », précise-t-elle. Persiste également la difficulté d'accéder à certains établissements, source de complications pratiques, d'inquiétude et, parfois, de déplacements complexes. La fédération française des réseaux de santé périnatale a effectué, à la demande de l'Académie, une enquête auprès de 451 établissements (France métropolitaine et Réunion), à laquelle plus de la moitié ont répondu. Verdict ? Si les maternités sont globalement accessibles (85 % environ), les unités de néonatologie sont à la traîne (23,7 %). De même, seuls 47 % des établissements s'estiment adaptés pour les personnes ayant une déficience auditive et moins de 25 % pour celles présentant un handicap visuel.
Aborder la santé sexuelle « assez précocement »
Face à ces constats, comment améliorer la prise en charge ? Première étape : transformer la vision du grand public et des professionnels. « Avant tout et surtout (...), il est indispensable de tout mettre en œuvre pour que les problèmes gynécologiques et sexuels des personnes handicapées, leur souhait d'avoir une vie affective et sexuelle épanouie, leur projet éventuel de parentalité, puissent être reconnus, considérés comme légitimes et accompagnés, au même titre que pour le reste de la population », insistent les auteurs du rapport. Ainsi, ils recommandent d'aborder les questions relatives à la santé sexuelle et reproductive « assez précocement » avec les enfants ou adolescents concernés et leur famille « afin qu'ils puissent être informés, et que l'accent soit mis plutôt sur leurs capacités que sur leurs handicaps ».
« La formation des professionnels de santé doit être améliorée afin que ces questions soient connues de tous, y compris des libéraux, et ne suscitent plus de réactions négatives, qui bien souvent résultent de la méconnaissance, complète le rapport. Une sensibilisation au handicap doit être intégrée dans les filières de formation des professions de santé. »
Une éducation à la vie sexuelle en établissement
Il exhorte également à mettre en place une « véritable éducation à la vie affective et sexuelle » en établissement ou dans les services de rééducation, et notamment d'évoquer la contraception et les possibilités de grossesse. « De même chez les garçons blessés médullaires, les possibilités de vie sexuelle et de projet parental doivent être évoqués très précocement ainsi que l'intérêt d'un recueil précoce du sperme qui doit être réalisé le plus tôt possible afin d'éviter la survenue d'une infertilité post-infectieuses », détaille-t-il.
Développer les dispositifs Handigynéco et Intimagir
Autre piste d'amélioration : développer Handigynéco et Intimagir qui ont, selon l'Académie, « fait la preuve de leur utilité ». Pour rappel, le premier dispositif consiste à déployer des sages-femmes libérales, formées aux handicaps, directement dans les établissements médico-sociaux pour assurer des consultations gynécologiques adaptées et animer des ateliers sur la vie intime, affective et la prévention des violences chez les personnes en situation de handicap. Le réseau Intimagir, quant à lui, regroupe des centres ressources régionaux qui informent, forment et accompagnent les personnes handicapées, leurs proches et les professionnels sur la vie intime, affective, sexuelle et la parentalité (Violences sexuelles : un centre ressource dédié au handicap).
Améliorer l'information sur les ressources existantes
Par ailleurs, « il faut tout faire pour que les difficultés d'accessibilité aux locaux soient prises en compte et que les informations sur les ressources existantes soient mises à disposition des patientes de façon facilement accessible », ajoute le rapport. À cet égard les informations pratiques devraient être disponibles sur le site internet des Dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité, estime-t-il. L'Académie conseille également de « structurer juridiquement, coordonner à l'échelle régionale et financer durablement » les dispositifs d'accompagnement comme les Cap Parents, qui offrent un soutien médico-psycho-social personnalisé tout au long du projet parental.
Parentalité : un parcours structuré et personnalisé
Pour permettre aux personnes en situation de handicap moteur ou sensoriel de devenir parents dans les meilleures conditions, l'ANM plaide pour un parcours structuré, anticipé et personnalisé. Tout commence dès le désir d'enfant : une consultation préconceptionnelle pluridisciplinaire (médecin, sage-femme, assistant social, ergothérapeute…) permettrait d'évaluer les besoins spécifiques et les risques potentiels. Ce moment clé doit aussi permettre de simuler certains gestes du quotidien avec un nouveau-né afin d'identifier les adaptations nécessaires, tant humaines que matérielles. Pendant la grossesse, le suivi doit être centralisé dans une maternité accessible et adaptée, avec un référent handicap identifié. Des réunions médico-psycho-sociales régulières aideraient, selon elle, à préparer l'accouchement, le retour à domicile et la coordination des aides. Enfin, après la naissance, l'accessibilité des lieux, la présence d'interprètes ou d'aides techniques, et l'accompagnement à la parentalité doivent être garantis, afin de sécuriser le lien parent-enfant et de renforcer l'autonomie des parents. Il invite en outre à « reconnaître le rôle des animaux d'assistance ».
La parentalité, un droit, pas un privilège !
Autres recommandations : adapter la Prestation de compensation du handicap (PCH) à la parentalité, qui « devrait pouvoir débuter pendant la grossesse, être modulée selon les besoins et prolongée après la naissance » et renforcer les liens entre professionnels du sanitaire, du médico-social et du secteur associatif, pour un accompagnement global et coordonné. « Être parent ne doit pas être un privilège, mais un droit accessible à toutes et tous, quels que soient les handicaps », conclut l'Académie.
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