« Tant qu'il nous restera des forces, nous lutterons contre la maladie de Charcot. » Le ton est donné. Audacieux. Percutant. Irrévérancieux. Le 6 octobre 2025, dans la salle comble du Pathé Palace à Paris, un film de 45 secondes a figé l'auditoire. Face caméra, quatorze participants – dont sept personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot – lèvent leur majeur, doucement mais sûrement (vidéo ci-contre). Un geste simple en apparence, mais un effort colossal quand la maladie s'attaque précisément aux membres supérieurs et inférieurs. Un doigt d'honneur pour « emmerder la maladie », résume avec franchise Yann Rougeron, directeur de création de l'agence Fred & Farid Paris, qui signe cette campagne de sensibilisation réalisée de manière bénévole.
Animée par Denis Brogniart, sous le regard « bienveillant » de Brigitte Macron, la conférence de lancement a réuni patients, familles, chercheurs, personnalités engagées et partenaires médias. Ensemble, ils ont inauguré une campagne choc et lumineuse, diffusée dans les cinémas Pathé, la presse nationale, les réseaux sociaux et les écrans urbains. « Avec ce film, vous allez prendre un bon petit coup de poing dans la figure », a promis Denis Brogniart. Mission accomplie.
Les patients : des combattants, pas des victimes
Pas d'effets spéciaux. Des plans fixes, des câbles apparents, aucune fioriture. La mise en scène est volontairement brute. « Dans ce film, on voulait montrer les personnes atteintes de la SLA telles qu'elles sont : des combattantes, pas des victimes », explique Pauline Lesage, directrice artistique chez Fred & Farid Paris. « Ce doigt résume toute la colère face à cette saloperie de maladie. C'est un geste qui dit : 'On est prêt à se battre tous ensemble'. »
Une bande-son signée Pone réalisée à l'aide de ses yeux
La réalisatrice Hannah Rosselin (Positive films) se souvient d'un tournage « joyeux et naturel » : « Le scénario ne cherchait pas à provoquer la pitié mais à mettre en lumière la force et la dignité. On a beaucoup ri, tout le monde avait l'air heureux d'être là. » Ces images fortes sont sublimées par la musique Can't Slow Down, réalisée par Pone – compositeur atteint de SLA depuis 2015 – à l'aide de ses yeux (SLA pour les nuls : un rappeur décode cette maladie complexe). Le résultat : un film coup-de-poing à l'aura singulière.
Pour Erinn Lotthé Guillon, productrice chez Fred & Farid Paris, ce film est à la fois « un cri de résistance et un hommage aux aidants ». Christophe et sa famille, Nicolas et sa femme enceinte, Lorène et sa sœur, Michel et sa compagne, André et sa canne, Pauline et sa cravate fleurie, Sandra… autant d'histoires singulières qui composent un formidable message d'espoir collectif.
7 photos brutes et puissantes
Ce spot est accompagné de sept photos (ci-dessous) tout aussi sobres... mais efficaces. Chacune d'elles raconte une histoire de résistance. « La maladie de Charcot immobilise Nicolas. Mais rien ne l'empêchera de se bouger pour la recherche. » « Mauvaise nouvelle pour la maladie de Charcot : elle a tapé sur les nerfs d'André. » « Michel ne parle plus mais, face à la maladie de Charcot, il n'a pas dit son dernier mot. » Derrière l'objectif, William Keo confie : « On a pris plus de temps à sociabiliser, à parler de foot, de la météo et des transports capricieux de la SNCF qu'à parler de la maladie. Tout était extrêmement spontané. Avant d'être des malades, ce sont des personnes », rappelle le photographe.
« Cette campagne signifie : je ne me tairai pas. Tant que j'aurai des forces, je continuerai de sourire, de me lever », martèle Lorène Vivier, 37 ans dont trois avec la SLA ("Du côté de la vie" : Lorène, l'urgence de vivre avec la SLA).
SLA : une maladie qui enferme mais n'éteint pas la combativité
La maladie de Charcot touche environ 8 000 personnes en France. Chaque jour, cinq nouveaux cas sont diagnostiqués et cinq personnes en décèdent. L'espérance de vie médiane est de deux à trois ans après le diagnostic. Cette pathologie neurodégénérative réduit progressivement les capacités motrices, tout en préservant les facultés intellectuelles. « La SLA n'est pas une maladie rare, c'est une injustice criante. Elle avance insidieusement. Chaque jour, je vois les forces de Lorène s'amenuiser. Cette campagne est un appel d'urgence », clame sa sœur, Marine Vivier. « On croit toujours que la SLA détruit mais, chez moi, elle a révélé toute ma force et toute la solidarité qu'il y a autour de moi », ajoute son aînée.
Institut Charcot : une 1ère en France pour accélérer la recherche
Dans la foulée de cette « campagne choc », l'ARSLA annonce la création de l'Institut Charcot, le premier en France entièrement dédié à la SLA et aux maladies du motoneurone. Un tournant scientifique et humain. « Jusqu'ici, la recherche était dispersée et manquait de coordination et de moyens », constate Edor Kabashi, chef d'équipe de l'Institut du cerveau. Doté d'un conseil scientifique international prestigieux, en lien avec le UK MND research institute – référence britannique dans la recherche sur cette maladie – et des équipes canadiennes et allemandes, l'Institut mise aussi sur l'intelligence artificielle avec Pulse 2.0, une plateforme innovante conçue notamment pour développer une médecine de précision.
Fédérer pour avancer plus vite et mieux
« Cet institut 'hors les murs' va rassembler patients, cliniciens, chercheurs et association autour d'un même objectif : transformer l'urgence en victoire scientifique », poursuit le chercheur. « Pour la première fois, tous les acteurs sont autour de la table. Cette structure va permettre de changer de vitesse, car nous allons pouvoir accélérer concrètement la recherche, et d'échelle, en fédérant les forces au niveau national et international », insiste Luc Dupuis, directeur de recherche à l'Inserm.
20 millions d'euros pour financer les projets prometteurs
Les avancées scientifiques récentes nourrissent cet espoir. Un premier traitement ciblant la mutation du gène SOD1 a permis de ralentir, voire de stabiliser la progression de la maladie chez certains patients dans des études en conditions réelles. Une avancée majeure, même si elle ne concerne pour l'heure que 2 % des personnes atteintes de SLA. « C'est le fruit de 30 ans de recherche mais cela ne suffit pas », affirme Luc Dupuis, qui souligne l'importance de développer des traitements personnalisés et mise sur l'IA pour relever ce défi. « Nous avons cette force pour mener ce combat, assure le chercheur, qui espère voir émerger un traitement curatif d'ici à 2050. Nous avons les cerveaux, les idées, les laboratoires… Ce qui nous manque cruellement, c'est le financement. » Objectif affiché : réunir 20 millions d'euros pour financer les projets les plus prometteurs. « Une somme modeste à l'échelle nationale, mais déterminante pour une association qui vit essentiellement de dons », souligne l'ARSLA.
Appel à la mobilisation nationale
« Le sablier est renversé, le temps est compté », martèle Lorène Vivier. Pour Bettina Ramelet, directrice générale adjointe de l'ARSLA, cette campagne est un électrochoc nécessaire : « Elle vise à secouer les consciences et à mobiliser les moyens. Nous avons aujourd'hui une vraie écoute de la part de l'État, mais il faut aller plus vite. » L'association appelle donc à la mobilisation de tous : citoyens, entreprises, institutions publiques et privées. Dons, mécénats, partenariats… chaque contribution compte pour offrir une véritable perspective de traitement aux 8 000 familles concernées. Pour prendre part à ce « combat », rendez-vous sur le site don.arsla.org.
De l'audace à l'action collective
Loin des campagnes aseptisées, « Tant qu'il nous restera des forces » assume son intensité et son audace. « Ce doigt levé, c'est aussi une main tendue pour atteindre ces 20 millions d'euros », explique Pauline Lesage. En clôture, Brigitte Macron, émue, a salué « le courage infini » des personnes touchées et rappelé l'importance de la mutualisation des données. « Si je peux vous aider via la Fondation des hôpitaux, on le fera. On combattra cette maladie tous ensemble », promet la Première dame, en tant que présidente de cette fondation. Grâce à la voix de celles et ceux qui refusent de se taire, une vague d'espoir est en marche. Reste à la faire déferler...
© William Keo / ARSLA