Fabien, avec autisme, n'aime guère les contacts rapprochés. Excepté avec son chien ! Pas évident, dès lors, de supporter les soins dentaires. Mais l'arrivée de Scully lui a permis de mieux vivre ces séances essentielles au maintien d'une bonne santé bucco-dentaire. Le stress diminue beaucoup lorsque la golden retriever vient le chercher, toute queue frétillante et œil pétillant, en salle d'attente.
« Scully est adorable ! », confie Sonia, une jeune femme de 32 ans présentant un retard mental. « Quand je la vois, ça m'apaise. » Heureuse initiative sachant que l'état de santé bucco-dentaire des personnes en situation de handicap est dégradé, avec des retentissements importants sur leur qualité vie au quotidien (perte de goût, dénutrition, douleurs, baisse de l'estime de soi, repli social...), comme le pointe régulièrement l'Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSB).
Les animaux à la conquête des hôpitaux américains
En collaboration avec l'association Handi'Chiens, le Dr Camille Bossard a créé la première unité dentaire de médiation animale en France. Avec sa consœur Florence Sand, les deux chirurgiennes-dentistes sont désormais assistées au quotidien par Scully. L'idée d'accueillir une collègue à quatre pattes trottait dans la tête de Camille Bossard depuis 2021. « Aux États-Unis et au Canada, mais aussi en Amérique latine, notamment au Mexique et en Équateur, les structures hospitalières sont de plus en plus ouvertes à la présence d'animaux pour aider les patients à supporter des soins parfois difficiles, indique le Dr Bossard. Mais, en France, la démarche reste prioritairement centrée sur les lieux de vie comme les Ehpad ou encore les Instituts médico-éducatifs (IME). Offrir aussi aux résidents de ces structures la présence d'un chien lorsqu'ils sont contraints de subir des soins dentaires est souvent vécu comme une continuité rassurante. »
Une présence rassurante
« À l'hôpital, la prise en charge dentaire des patients est, en général, plus complexe qu'en libéral, poursuit-elle. Cela est d'autant plus vrai lorsque les soins sont pratiqués sur des personnes en situation de handicap pouvant avoir des sensibilités parfois exacerbées et une réticence très affirmée à toute intrusion dans une zone aussi intime que la bouche. » De fait, certains patients peuvent très vite paniquer face à un fauteuil qui monte et qui descend, des vibrations ultrasoniques, des aspirations à haut débit et, bien sûr, l'incontournable turbine toujours en action... Immédiatement, Scully comprend la situation et s'adapte aux besoins de chaque patient.
Une bonne « pâte » pleine d'astuces pour détourner l'attention
Poser une patte sur un genou qui tremble, se faire câliner, voire même s'allonger entièrement sur le corps d'un enfant pendant toute la durée d'une séance comme pour mieux absorber toutes ses angoisses. « Scully parvient à détourner l'attention des patients et rend ainsi le moment moins anxiogène, explique le Dr Bossard. Elle a aussi un lien privilégié avec les enfants. Elle les adore ! » Les patients plus âgés semblent même retrouver une part d'enfance qui leur permet d'aborder plus sereinement des protocoles parfois assez longs. « J'ai toujours eu une phobie du dentiste, raconte Solange, 55 ans. La pose d'une prothèse nécessitait plusieurs rendez-vous, et aussi une intervention au bloc opératoire, mais je savais que je pouvais compter sur Scully.»
Convaincre la direction du bien-fondé de la démarche
Le projet a d'abord suscité des doutes et de l'étonnement au sein de la direction et des équipes. Aussi le Dr Bossard a-t-elle réuni de nombreuses études scientifiques sérieuses démontrant les bénéfices de la médiation animale pour réduire l'anxiété de patients à besoins spécifiques lors de soins dentaires.* « J'ai présenté également des vidéos réalisées dans différents services hospitaliers à l'étranger, complète-t-elle. Grâce, notamment, au soutien de mon chef de service, la direction du CHU de Brest a validé le projet. » Restait, bien sûr, à dénicher la candidate idéale au poste.
La nécessité d'un chien calme et impassible
Les deux chirurgiennes-dentistes se sont rapprochées de l'association Handi'Chiens qui forme et remet gratuitement des chiens d'assistance. Récemment, certains de leurs canidés ont été sélectionnés pour soutenir les victimes au procès Le Scouarnec. Quid du chien dentiste ? « Il fallait un animal proche de l'humain mais suffisamment calme et impassible pour supporter tous les bruits inhérents à l'activité d'un cabinet dentaire », précise la médecin. Ainsi, un border collie, aussi sympathique et généreux soit-il, eût été d'emblée recalé pour son débordement d'énergie et sa tendance à paniquer face à l'imprévu ! L'association Handi'Chiens ne travaille plus qu'avec des labradors et des goldens. Parmi tous les candidats possibles, la désormais « collègue et aussi coloc » du Dr Bossard cochait donc toutes les cases (petite taille pour la race, non craintive des différents bruits et situations stressantes...). Pour preuve, Scully a réussi « haut la patte » le dernier entretien d'embauche, à savoir une journée test à l'hôpital !
Un emploi du temps aménagé et respectueux de la gent canine
Scully assiste le Dr Florence Sand auprès des enfants et des adolescents et le Dr Camille Bossard auprès des adultes. Mais, comme tous les salariés, cette assistante dentaire pas comme les autres a des jours de repos dans un emploi du temps aménagé à sa nature et ses besoins. Une condition sine qua non pour garder un équilibre ! « Les chiens ont besoin de moments de détente en extérieur, de liberté en forêt ou campagne, et d'interactions avec d'autres congénères pour être bien dans leurs pattes et, donc, dans leur mission d'assistance », insiste le Dr Bossard.
Développer les pôles de médiation animale
L'initiative relayée par de nombreux médias a attiré l'attention d'autres services hospitaliers de soins dentaires. Ainsi, les CHU de Nancy, Nantes et Bordeaux aimeraient se lancer dans l'aventure de la médiation animale. D'autant qu'au-delà de l'aide apportée aux patients, Scully a également permis de détendre l'atmosphère entre les soignants. Grâce à elle, les conversations s'engagent plus facilement, les rires s'expriment plus librement, les tensions s'apaisent. Fortes de ces résultats positifs, tant pour les patients que pour les soignants, les deux chirurgiennes-dentistes espèrent récolter des fonds, via le site de dons du CHU de Brest, Innoveo, pour développer leur pôle de médiation animale. Et peut-être même utiliser une partie de cet argent pour former d'autres chiens à même de remplir de belles missions auprès des personnes avec des besoins spécifiques.
* Evaluation of dental anxiety in children with Down's syndrome using dog-assisted therapy: A pilot study. J Indian Soc Pedod Prev Dent. 2023 Oct 1;41(4):322-327. > Diminution du score d'anxiété des enfants porteurs de T 21 en présence de médiation animale lors d'application de fluor
The effectiveness of animal-assisted therapy for children and adolescents with autism spectrum disorder: A systematic review. Complement Ther Clin Pract. 2023 Feb;50:101719
Thérapie assistée par les animaux dans un cabinet dentaire spécialisé : un modèle interprofessionnel pour la réduction de l'anxiété, Journal of Intellectual Disability, Mars 2016
© Camille Bossard