Malvoyance : deux pro inspirantes dézinguent les préjugés

Entre table de kiné et atelier de réparation vélo, Mélissa et Vonny prouvent que la malvoyance n'empêche ni la compétence, ni l'ambition. Deux parcours inspirants qui bousculent les idées reçues sur le travail et le handicap visuel.

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Portrait de Mélissa à son bureau.

« Je me suis dit : ma vie est finie, foutue. » En une nuit, la vue de Vonny, alors âgée de 29 ans, s'effondre et, avec elle, l'avenir qu'elle croyait tracé. Mélissa (en photo ci-contre), elle, a grandi avec une rétinopathie pigmentaire qui ne lui a jamais laissé plus d'un vingtième d'acuité. Deux trajectoires différentes, réunies pourtant par un même tournant : l'accompagnement du Centre de formation et de rééducation professionnelle (CFRP) de l'association Valentin Haüy, qui leur a permis de construire un projet professionnel solide. Au lendemain de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH), leurs histoires rappellent qu'avec un accompagnement adapté, un destin que l'on croyait brisé peut être réinventé... et même devenir une source d'inspiration.

Un apprentissage sur mesure

Implanté en plein cœur de Paris (7e), le CFRP permet aux personnes malvoyantes et aveugles d'apprendre, de se réorienter et de redevenir pleinement actrices de leur parcours. Kinésithérapie, informatique, métiers administratifs, réparation cycle… « Les formations sont conçues pour s'adapter, pas pour exclure. » C'est pour cette raison qu'après un parcours scolaire classique jusqu'au bac, Mélissa a opté pour l'Institut de formation en masso-kinésithérapie (IFMK) du CFRP. « Ailleurs, les supports et les méthodes n'auraient pas suivi. Ici, je savais que je pourrai apprendre sans me battre au quotidien contre l'inaccessibilité. » Elle se souvient d'un apprentissage taillé sur mesure : « Une bonne moitié des professeurs étaient malvoyants donc ils savaient exactement ce dont on avait besoin. » L'un d'eux reste gravé dans sa mémoire : Reda Bakar, qui enseignait l'anatomie en pâte à modeler. « Sa méthode m'a marquée : toucher les os, construire les muscles en 3D… Je pense que ça devrait être enseigné partout. D'ailleurs, lors de mes stages, j'aidais les étudiants voyants à réviser en modélisant le corps de cette manière. »

Kiné et para-grimpeuse : la détermination en mouvement

Ce qui l'anime au quotidien ? « Voir qu'on apporte quelque chose, qu'on est utile et qu'on aide les patients à se sentir mieux… Je me sens pleinement à ma place », se réjouit la kiné. Les réactions de ses patients face à son handicap oscillent entre surprise et admiration ; certaines la font sourire, comme ces personnes âgées, à qui elle demande de lire leur ordonnance, convaincues qu'elle a pu faire « des études sans savoir lire ». Loin des fantasmes sur le « cliché miraculeux des kinés aveugles », Mélissa rappelle que rien n'est inné : son toucher précis vient d'un long travail, de l'apprentissage du braille à des années de palpation méthodique. La jeune femme déplore, par ailleurs, que « de nombreux malvoyants soient poussés à faire ce métier parce qu'il peut convenir… mais un métier ne se choisit pas pour son accessibilité : il se choisit parce qu'on l'aime », insiste-t-elle.

Et quand Mélissa n'est pas au cabinet, elle grimpe un mur d'escalade. Dans sa ligne de mire ? Les Jeux paralympiques de Los Angeles (États-Unis) en 2028. « Je travaille de 8h30 à 14h puis je file m'entraîner. Et c'est comme ça six jours sur sept. » Un rythme exigeant, qui limite parfois ses revenus – « Un temps partiel en libéral, ce n'est pas le salaire d'un temps plein », souligne-t-elle – mais jamais son énergie.

L'accessibilité numérique, un obstacle majeur

Ses principaux obstacles ? Ni le manque de temps, ni les techniques, ni même les préjugés des patients... Mais le manque d'accessibilité, essentiellement numérique. Logiciels peu adaptés, formulaires et feuilles de soins illisibles, démarches administratives impossibles sans aide... « On n'est pas préparé à ça, déplore la jeune femme. C'est dommage que les développeurs ne rencontrent pas les personnes concernées. » Un frein invisible, mais bien réel, qui lui font perdre un temps précieux.

Une cécité foudroyante

L'histoire de Vonny est brutale, fulgurante. En quelques heures, son champ visuel se rétrécit jusqu'à disparaître : « La veille, je voyais parfaitement. Le lendemain matin, à moitié, et le soir, plus rien du tout. » Le diagnostic tombe : syndrome IgG4, une maladie auto-immune rare qui provoque des inflammations sévères des tissus. « Cette pathologie peut toucher tous les organes. Et une fois qu'elle en a un dans le viseur, elle le détruit », vulgarise la trentenaire. S'ensuivent deux années d'errance, sans information ni soutien : « Il n'y avait personne pour me dire que des associations et des dispositifs existaient. Rien. » Professeur d'espagnol au collège et au lycée, elle se dit contrainte de renoncer à son métier et se met en quête d'une nouvelle voie...

Une profession comme un acte d'émancipation

Quand elle pousse la porte du CFRP, c'est un choc salutaire. « Sans mes yeux, je pensais que je ne pouvais plus rien faire. Mais j'ai appris à maîtriser l'ordinateur et à me déplacer seule, et à utiliser mon corps autrement. » Celle qui n'était « pas du tout manuelle auparavant » découvre « la magie des mains » dans la mécanique cycle. Dans l'atelier de réparation des vélos, elle apprend à écouter, toucher, ressentir : « On nous aide à faire abstraction des yeux, à écouter le bruit d'une chaîne, à sentir les vibrations. Et, au final, on est parfois plus précis et attentif que quelqu'un qui voit », sourit-elle. Vonny en tire une immense fierté : pouvoir accomplir les mêmes tâches que ses camarades voyants, « presque à la même vitesse ». Elle raconte même la satisfaction intense de « résoudre ce que d'autres n'arrivent pas à faire », une source majeure de confiance retrouvée.

Des appli mobiles qui facilitent le quotidien

Pour faciliter son quotidien, elle s'appuie sur des applications comme Seeing AI ou Oorion, qui l'aident à reconnaître les couleurs, trier le linge, cuisiner, s'orienter : « Elles me facilitent la vie, au travail comme à la maison. » Son ambition à l'issue de la formation ? « Trouver un employeur prêt à me faire confiance et à voir au-delà du handicap. Et pourquoi pas un jour ouvrir mon propre atelier, envisage-t-elle. Je veux participer à l'évolution de ce monde. Pas en restant chez moi ! »

Les compétences et l'envie avant tout

À l'heure où les entreprises s'interrogent, parfois timidement, sur l'inclusion réelle, le message de Mélissa et Vonny résonne comme un rappel à l'ordre : considérer les compétences avant les appréhensions, l'envie avant les limites supposées. Et pour celles et ceux qui seraient encore en proie aux doutes, ces deux femmes offrent un cap précieux. « Avec la volonté et le bon entourage, tout est possible », affirme Mélissa. « Ne vous laissez pas atteindre par les croyances limitantes des autres. Croyez en vous », renchérit Vonny.

© Mélissa

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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