"On passe à table": Théo Curin cuisine le handicap autrement

Autour d'un dîner sans filtre, Théo Curin réunit Rose Paynel et Martin Petit, créateurs de contenus handicapés, pour parler préjugés, galères et victoires. Résultat : un échange cash, drôle et profond. "On passe à table", à déguster sur france.tv.

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Théo Curin au milieu de Martin et Rose, autour d’une table.

« Je ne me lève pas, tu m'en veux pas ? », lance Martin Petit, créateur de contenu tétraplégique, en roulant vers la table. « Je ne te propose pas un coup de main », réplique son hôte, Théo Curin, ex-athlète et présentateur quadri-amputé. Deux « punchlines », un sourire… et l'émission est lancée. Dans On passe à table, imaginée par APF France handicap, Théo Curin installe une ambiance conviviale et décontractée, où l'humour désamorce tout. 

Le temps d'un repas, il réunit la conférencière et comédienne Rose Paynel, autrice de Vivre avec une surdité – Le son de la vie (Rose Paynel, sourde : "Ouïe" à l'inclusion dans le cinéma), et Martin Petit, auteur de Va là où tu as peur (De l'accident à la reconstruction : Martin Petit ose la peur). Au fil des plats, les langues se délient, les blagues fusent, les confidences s'enchaînent… et les tabous tombent. Preuve que l'on peut parler handicap la bouche pleine… et le sourire en coin. Un échange rafraîchissant à découvrir sur france.tv jusqu'au 24 octobre 2030.

En premier lieu, un rejet du handicap

Ce qui rassemble ces trois invités autour d'une table ? Une lutte. Celle contre les préjugés qui enferment et l'invisibilisation qui isole. En guise d'entrée, trois thèmes : adaptation, acceptation, se réinventer. Rose, 25 ans, met les pieds dans le « plat ». Diagnostiquée malentendante sur le tard, à l'âge de 8 ans, elle bascule dans la surdité totale à 19 ans. « J'ai eu pas mal de phases », raconte la jeune femme équipée d'un implant cochléaire à l'oreille droite et d'un appareil auditif à gauche. La première ? Le rejet. Ses années collège sont rythmées par les discriminations et le harcèlement. Au lycée, un micro HF – qui lui permet de mieux entendre ses professeurs – change la donne : « J'étais enfin vue comme la fille stylée et non plus comme la 'malentendante'. »

La phase d'acceptation

Face à elle, Martin, 33 ans, qui se déplace en fauteuil roulant depuis un accident survenu huit ans plus tôt, partage son propre virage intérieur. « Pour accepter ce qui t'arrive, il faut redonner un sens à ce qui n'en a plus », estime le Bordelais qui s'est donné pour mission de sensibiliser le grand public et d'inspirer les personnes handicapées via ses réseaux sociaux notamment. Son credo : « Faire du fracas de ma vie quelque chose de plus grand que moi. » Théo Curin évoque, quant à lui, une acceptation précoce : « J'ai eu la chance d'avoir cette particularité très jeune », confie le jeune homme de 25 ans victime d'une méningite bactérienne à l'âge de 6 ans. « J'ai grandi avec, ça m'a permis d'accepter assez naturellement mon handicap. » Trois histoires singulières, un même élan : réinventer sa vie au lieu de la subir.

Des difficultés pesantes au quotidien

Vient alors le moment d'aborder les difficultés, celles qui pèsent au quotidien. L'isolement social, la peur du jugement, l'absence de modèles, le manque d'accessibilité… autant de réalités qui façonnent les parcours. « Un mini déplacement devient un marathon pour moi », résume Théo, qui révèle « détester les soirées ». « La position statique dans les prothèses est très inconfortable, je ne suis pas concentré sur le moment et l'échange, mais sur mes jambes », explique-t-il. Rose évoque ces moments où les malentendus faussent tout : « On a longtemps cru que j'étais bête parce que je faisais répéter mes interlocuteurs ou que je répondais à côté. »

Les armes qui permettent d'avancer

Mais, très vite, ces optimistes dans l'âme dévoilent les « armes » qui leur ont permis de rebondir : l'humour, les rencontres, les déclics. Celui de Théo porte un nom : Philippe Croizon. Il a huit ans quand il voit l'aventurier quadri-amputé sortir de sa voiture avec des prothèses en carbone aux côtés d'une femme. « Je me suis dit : c'est génial, je pourrai avoir une voiture et une femme quand je serai grand ! », s'exclame l'auteur de La chance de ma vie (Théo Curin : 21 ans, sa vie de dingue, le livre qui rebooste). Une scène anodine en apparence, mais fondatrice : « J'ai compris qu'une vie 'normale' était possible malgré la différence. » Pour Martin, la rééducation a constitué une étape majeure : « C'est douloureux parce que tu dois apprivoiser ton nouveau corps mais, en même temps, tu es dans un cocon. La vraie violence commence à la sortie. » Mais, au fil des semaines, des échanges et des expériences, la confiance prend le pas sur la peur.

Regard des autres et réseaux sociaux : changer la perspective

Le plat principal fait émerger un thème brûlant : la société et ses jugements. Rose en a fait les frais. Théo aussi. Et Martin ne déroge pas à la règle. « Le regard des autres, tu le subis forcément car, quand tu arrives quelque part en fauteuil, tout le monde te regarde, du moins c'est ce que je pensais au début, indique ce dernier. Aujourd'hui, je n'y prête plus attention parce que je porte un autre regard sur le handicap : mon fauteuil est devenu mon allié, c'est lui qui me permet d'avancer. » Pour chacun d'eux, les réseaux sociaux jouent aussi un rôle central dans la manière de montrer son handicap, de démystifier, de normaliser. De véritables outils d'émancipation qui ont permis de « faire bouger les lignes », reconnaissent-ils.

Autonomie, persévérance et soutien : trouver l'équilibre

Reste une question : comment se faire une place dans une société encore hostile à la différence, où le handicap demeure le premier motif de discriminations (Le handicap, 1er motif de discriminations depuis 8 ans) ? « On ne m'a pas donné de place, c'est moi qui me la suis faite, tranche Rose. Toutes les fois où l'on m'a dit que je ne pouvais pas faire quelque chose, comme mes études qui n'étaient pas forcément accessibles, j'ai persévéré. » Théo rappelle l'importance des soutiens extérieurs : « Le milieu associatif peut nous aider à (re)trouver une forme d'équilibre. On a tendance à vouloir tout gérer seul. Parfois, solliciter de l'aide fait du bien. »

Anecdotes du quotidien et questions intimes

Le dessert apporte son lot d'anecdotes savoureuses. Rose rit de ses retards chroniques : « Habitant seule, je n'entends pas mon réveil. Alors j'ai acheté des réveils vibrants, une montre vibrante, des néons lumineux. Des solutions existent ! » Puis vient l'ultime question, celle qui plane toujours mais qu'on hésite à formuler : « Le handicap est-il un frein aux relations amoureuses et à une vie de famille ? » Les invités sont unanimes : c'est un grand non. Au contraire, ils ont mille exemples de complicité, de résilience, de liens solides nés justement de cette différence assumée.

En guise de digestif, chacun glisse son mantra. « Après la pluie, viennent les fleurs », assure Rose. Pour Martin, « les petits ruisseaux forment les grandes rivières ». Deux phrases qui disent l'essentiel : rien n'est figé, tout peut se construire... ensemble.

© Capture d'écran de l'émission On passe à table

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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