La gymnaste la plus titrée de l'histoire, Simone Biles, les nageurs Camille Lacourt et Michael Phelps... De plus en plus de sportifs évoquent leurs difficultés psychologiques, brisant ainsi les tabous sur la santé mentale. Le 19 juin 2024, à un mois des Jeux de Paris 2024, cette thématique était au cœur de la conférence « Médecine des sports olympiques », organisée par l'Académie de médecine.
Impact sous-estimé sur la santé mentale
Si l'on reconnaît volontiers l'impact de la pratique du sport de haut niveau sur la santé physique, les répercussions sur la santé mentale sont largement sous-estimées... ou glissées sous le tapis. Et pourtant, « les projets sportifs, personnels et socioprofessionnels des athlètes peuvent être pourvoyeurs de troubles psychologiques », constate Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), à Paris. Principal frein ? La stigmatisation. « Les choses avancent mais, pour beaucoup, c'est compliqué d'avouer que l'on ne va pas bien », répond-il, déplorant, encore une 2024, une vision négative de la prise en charge psychologique.
Quelle manifestation clinique ?
Selon les données publiées par le groupe de travail sur la santé mentale du Comité international olympique en 2019, cette altération de la santé mentale se manifeste principalement par des troubles du sommeil (entre 49 et 64 % des athlètes touchés), dépressifs, anxieux et apparentés (entre 4 et 15 %), du comportement alimentaire qui touchent majoritairement les femmes (entre 6 et 45 %, contre 0 à 19 % pour les hommes) et les sports à catégorie de poids, d'endurance ou « artistiques », ou encore une consommation de substances (alcool entre 7 et 10 %, cannabis...).
Début et fin de carrière : 2 périodes à risque
Le médecin du sport identifie deux périodes particulièrement à risque : l'entrée dans une structure professionnelle (qui s'accompagne notamment d'une hausse de l'intensité des entraînements et des compétitions, de l'éloignement familial, d'une concurrence au sein du groupe et d'une exigence accrue de l'entraîneur), puis l'arrêt du projet sportif. Cette « petite mort » marque un changement important du rythme de vie, de nouveaux projets qui peuvent être source d'anxiété et entraîne parfois un sentiment de « perte d'identité ».
Blessures et surentraînement : aïe !
Les troubles psychologiques peuvent également intervenir au cours de la carrière en raison de blessures physiques, qui peuvent avoir des conséquences économiques (perte de sponsor) et sociales (écartement du groupe). La commotion cérébrale, « blessure invisible sous-estimée », entraîne par exemple « un syndrome dépressif dans 20 % des cas », indique Sébastien Le Garrec. Autre facteurs déclenchants : le surentraînement. Comment le reconnaître ? « L'athlète s'entraîne plus de cinq à sept fois par semaine, fait état d'une fatigue persistante depuis plus d'un mois, d'une baisse de performance supérieure à 10 % ou encore d'une réduction du volume d'entraînement supérieure à 20 %, sans maladie qui pourrait expliquer ses symptômes », explique l'expert. Depuis juin 2016, un questionnaire obligatoire a été mis en place pour faciliter son repérage.
Contreperformance et pression de l'entourage
La non-sélection et la contreperformance peuvent également provoquer un « choc ». « C'est un véritable drame quand on s'entraîne pendant quatre ans pour cet objectif ultime et que brutalement tout s'arrête », observe Mr Le Garrec, faisant écho aux Jeux olympiques et paralympiques. Les commentaires négatifs sur les réseaux sociaux ou dans la presse ainsi que la pression de l'entourage (famille, agent, entraîneurs, dirigeants) peuvent également provoquer une « charge émotionnelle importante », tout comme les violences sexuelles. A noter que, selon une enquête de 2008*, 11,2 % des athlètes interrogés y ont été exposés au moins une fois, contre 6,6 % de la population générale.
Les signaux d'alerte
Certains signes peuvent alerter sur l'état de leur santé mentale : fatigue anormale, blessures à répétition, inquiétude et rumination, variation de poids, perte de motivation, difficulté de concentration, perte de l'estime de soi, isolement... Plutôt que guérir, il faut prévenir, milite Sébastien Le Guerrec. Pour cela, « la communication entre les différents professionnels de santé et avec l'environnement sportif et familial de l'athlète est indispensable, de même que la surveillance médicale réglementaire annuelle », martèle-t-il. Depuis 2006, un suivi psychologique est proposé (recommandé ?) à tous les athlètes, majeurs comme mineurs. Le Dr Le Guerrec appelle à être « particulièrement attentif aux plus jeunes », pointant la nécessité d'échanger régulièrement avec les parents.
Miser sur la prévention !
« En bref », il note une amélioration de la prise en compte de la santé mentale mais insiste sur la nécessité d'écouter toujours plus les athlètes et de les informer, ainsi que les staffs techniques et l'entourage, pour optimiser la prévention et prise en charge psychologique. « Soyez attentifs aux micro-signaux ! », lance-t-il à ses collègues.
Troubles alimentaires : les sportifs en 1ère ligne !
Fin mai 2024, l'Association française anorexie boulimie lançait de son côté une grande campagne pour inciter au repérage précoce des TCA (troubles des conduites alimentaires) dans les milieux sportifs qui ont notamment fait entrer Emma Oudiou, athlète française spécialiste du 3 000 m steeple, dans une « logique extrêmement malsaine ». L'asso déplore un « silence assourdissant » autour de ces « affections psychiatriques » (Anorexie, boulimie, TCA : le sport, un risque à maîtriser ?).
* « Etude sur les violences sexuelles dans le sport en France : contextes de survenue et incidences psychologiques »