« En sentant la musique dans mes os, j'ai pu ressentir de la musique forte et des émotions. C'était une telle ouverture pour moi. Avant, je n'avais qu'un seul type d'émotion et, ici, beaucoup plus », confie Maxime, élève au sein de l'Institut national des jeunes sourds de Paris (INJS). S'il a pu profiter des joies du quatrième art, c'est grâce aux sacs à dos vibrants créés par la société SoundX. Contrôlés par une application, ils captent les sons ambiants à l'aide d'une intelligence artificielle. Celle-ci repère tout ce qui se passe dans le spectre audio et retranscrit les sons sous forme de vibrations. Après « huit mois de test », ces bijoux technologiques seront proposés la saison prochaine par la Philharmonie de Paris « pour être opérationnels sur l'ensemble de l'offre en 2024/2025 », indique son directeur, Olivier Mantei. Objectif : améliorer l'accès à l'offre culturelle des personnes sourdes ou malentendantes.
Ressentir la musique grâce aux vibrations
A l'origine de cette collaboration inédite, une rencontre entre Damien Quintard, fondateur de SoundX, et Olivier Mantei, (en photo ci-dessus). « J'aime l'idée que l'on puisse écouter la musique sans l'entendre, vibrer autrement et la ressentir avec le corps, explique le second. Finalement, l'universalité du langage musical passe aussi par notre capacité à le rendre accessible à chacune et chacun, sans restriction. Cette collaboration va permettre à la Philharmonie de s'ouvrir plus encore. »
SoundX est né d'une expérience vécue par Damien, producteur musical et cofondateur de Miraval Studios avec Brad Pitt, au cours d'un enregistrement de la Troisième symphonie de Gustav Mahler. Durant le final, ce mélomane, ayant été invité par le chef d'orchestre à s'asseoir au milieu des musiciens, a constaté que, si les sons ne se distinguaient plus dans leur globalité, il avait ressenti une forte émotion musicale grâce aux vibrations. « J'ai eu un déclic : pourquoi ne fait-on pas la même chose pour la communauté sourde ? » Après plusieurs années de développement et de travail avec l'INJS, il crée donc une IA qui s'adapte en temps réel à toutes les subtilités du son. « C'est un projet qui est nourri par les retours de cette communauté et qui a récemment été rendu possible grâce aux avancées technologiques », poursuit-il. Alors que 7 millions de Français sont concernés par un handicap auditif, cette collaboration vise également à sensibiliser le grand public.
Un dispositif gratuit et hautement performant
Des systèmes de « packs vibrants » ont déjà été utilisés dans plusieurs évènements musicaux ces dernières années, à l'image des caissons conçus par le collectif T'cap (Lire : Sourds : des caissons vibrants pour ressentir la musique !). Mais, bien souvent, ils « ne retranscrivent que les basses (les notes les plus graves d'un accord, ndlr) », explique Damien Quintard, ajoutant que sa solution permettrait de capter la fréquence musicale « jusqu'à 20 000 hertz », contre 100 avec les options actuelles. Par ailleurs, la directrice déléguée en charge de la responsabilité sociétale à la Philharmonie de Paris, Sarah Koné, a assuré que le dispositif serait gratuit pour les spectateurs qui bénéficieront toujours d'une réduction de 20 % sur le prix de leurs billets. Pas besoin de téléphone individuel pour se connecter à l'application disponible sur iPhone et iPad ; dans ses salles, la Philharmonie contrôle les sacs à dos vibrants à l'aide d'une seule tablette.
A terme, Damien Quintard estime que ces sacs à dos vibrants pourraient quitter les salles de spectacles et devenir une aide quotidienne pour ce public, en lui permettant, par exemple, « de distinguer la sirène d'une ambulance de celle d'un klaxon ou de l'aboiement d'un chien ».
Des spectacles adaptés
En parallèle de ce déploiement, des spectacles adaptés aux personnes déficientes auditives seront proposés par la Philharmonie, qui dispose déjà d'alternatives pour différents handicaps. Trois concerts chansignés et un spectacle pour enfants sur l'histoire de Babar en langue des signes française (LSF) seront, entre autres, au programme de la saison 2023/2024.
© Noémie Loussier