« Je vais devenir méchant sur la mise en application des Ad'Ap », affirme Jacques Toubon. « Sauf à lancer des cocktails Molotov, ce qui n'est pas dans notre culture », le Défenseur des droits entend, sur le champ de l'accessibilité ou plutôt, selon lui, « de l'absence d'accessibilité », mener ce combat en demandant à ses 450 référents présents sur le terrain de se lancer dans une remontée de ce dispositif qui, faut-il le rappeler, a fixé, fin 2014, de nouvelles échéances pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public. Au grand dam des usagers en situation de handicap puisque certains délais, notamment pour les transports, ont été repoussés de 9 ans.
Agacement des participants
Ces mots, le Défenseur des droits les a prononcés en clôture d'un colloque qui s'est tenu le 13 décembre 2016 au sein de la maison de l'Unesco, à Paris. Dix ans jour pour jour après l'adoption de la Convention internationale des droits des personnes handicapées par l'ONU. C'était la première grande manifestation organisée en France pour assurer la promotion de ce texte fondateur et faire le point sur les droits inhérents. Celle que l'on appelle aussi CIDPH comporte 33 articles qui bordent tous les domaines. Dans cet élan fougueux, le DDD répondait aux voix dissidentes qui se sont fait entendre lors de cet évènement, celles des personnes handicapées, les principales concernées.
Sur la scène plutôt que dans la salle !
« A quel moment aurons-nous la parole ? », s'exaspère Elisa Rojas, avocate et cheville ouvrière du collectif Non au report de 2015, qui intervient au nom du CLHEE (Collectif lutte et handicaps pour l'égalité et l'émancipation). Elle s'indigne du « retard accusé par la France dans les politiques publiques en matière de handicap ». Selon elle, l'AAH en dessous du seuil de pauvreté, l'institutionnalisation, l'absence de liberté de choix des aides humaines, la nomenclature mise en place récemment par la CNSA qui chronomètre les soins dessinent un système qui va à l'encontre de tout ce que prévoit cette Convention. « Arrêtez de nous mettre dans la salle et mettez-nous sur la scène », embraye Jean-Luc Simon, vice-président du Groupement français des personnes handicapées (GPH). Tandis que Céline Boussié, lanceuse d'alerte mise en examen pour diffamation après avoir dénoncé des actes de maltraitance dans un établissement médico-social (article en lien ci-dessous), saisit le micro pour interroger la pertinence d'un système où ceux qui protègent les plus vulnérables sont assis sur le banc des accusés. Ces objections à la hussarde ont le mérite de redynamiser un « débat plutôt théorique » qui, selon Elisa Rojas, n'avait pour objectif que d'alimenter « l'autosatisfaction » des intervenants institutionnels.
Une exaspération justifiée
Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits en charge des discriminations, modérateur des trois tables rondes de cette journée, tempère en assurant que « l'exaspération exprimée est tout à fait justifiée » et qu'il retrouve beaucoup de ces revendications dans les saisines qui arrivent sur son bureau. A son tour, Jacques Toubon, en tant « qu'élu depuis 40 ans, Homme et Défenseur des droits », assure comprendre « les impatiences » des personnes concernées et qu'elles puissent « avoir le sentiment que notre pays, malgré beaucoup d'avancées depuis les années 70, est encore très en retard ». Il souhaite que ce 10e anniversaire soit la « base d'une nouvelle impulsion » et affirme vouloir tout mettre en œuvre pour « rendre effectifs ces droits proclamés ». « L'évènement de ce jour, c'est l'opportunité de donner un coup de turbo pour que la culture de l'inclusion devienne celle de tous les Français, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, poursuit-il ».
Des engagements à venir…
A cette occasion, le DDD passe en revue certaines des actions qu'il compte engager dès 2017. En premier lieu, assurer la promotion de la convention onusienne via un espace dédié sur le site du Défenseur des droits où figureront les actus et documents utiles avec, d'ici deux ans, une version en FALC (Facile à lire et à comprendre) destinée aux personnes ayant des difficultés de lecture et de compréhension. Il déclare ensuite vouloir s'engager dans la formation des juges, avocats et magistrats, selon lui « insensibles à cette convention, non pas parce qu'ils sont méchants mais parce qu'ils ne la connaissent pas ». Il compte, pour ce faire, appuyer un amendement en cours qui, pour le moment, peine à s'imposer, et rendrait obligatoire la formation des professionnels de la justice aux spécificités des justiciables en situation de handicap.
Droit de vote et statistiques
À l'approche de l'échéance électorale présidentielle, il entend appuyer la modification de l'article L5 du code électoral qui permet au juge de supprimer le droit de vote à une personne placée sous tutelle. Jacques Toubon conclut son discours en rappelant que « l'un de ses sujets favoris d'énervement » est l'absence de données statistiques sur le handicap. « Nous avons besoin d'avoir une vision exacte et, pour cela, d'un dispositif national performant de centralisation et d'exploitation concertée sur la situation et les besoins des personnes en situation de handicap sur l'ensemble du territoire ».
Toute personne qui estime que ses droits ne sont pas respectés peut, en se référant à la Convention internationale des Nations-Unies, saisir la justice ou le Défenseur des droits. « Encore faut-il, selon un participant au colloque, que l'expression de ce droit se fasse dans un délai raisonnable. Si elles doivent attendre deux ans pour avoir une réponse, il est difficile pour les personnes handicapées de se défendre ». Dont acte pour le DDD qui, dans ce domaine, doit maintenant viser le triple A !