Par Adrien Marchand
"Ça fait un peu bizarre d'être ici mais on reprend vite nos marques" : après des mois de fermeture, les employés de La belle étincelle, à Paris, en majorité porteurs de handicap mental, sont ravis de retrouver tabliers et clients. Dans ce restaurant du XVe arrondissement, huit employés sur treize en CDI sont atteints de trisomie, d'autisme ou de troubles cognitifs, et tous ont répondu présents cette semaine pour "leur" réouverture, le 9 juin 2021.
"Une libération"
"C'est un peu fatiguant mais ça va", se rassure Sofia Fichel, cuisinière, tout en dressant ses premières assiettes. "Ils viennent de reprendre et tous les gestes sont (déjà) là. Il y a deux, trois petites erreurs, mais ça va", sourit Jean-Pierre Salomon, un des encadrants, également ravi, chef de salle. Inauguré à la rentrée 2020, le restaurant avait servi ses premiers plats en septembre et octobre, essentiellement à l'heure du déjeuner à cause du couvre-feu, avant de fermer lors du deuxième confinement. Pendant la fermeture, longue de sept mois, "c'était un peu difficile, je vis seule, et ma famille est en Martinique", témoigne Jenna Sebbagh, serveuse handicapée à la suite d'un traumatisme crânien et qui a dû rentrer précipitamment chez ses parents pour mieux traverser la période de chômage partiel. La salariée de 32 ans a vécu le retour au travail comme une libération. "C'est comme ma deuxième famille. J'étais tellement pressée de revenir", avoue-t-elle.
Travailler ensemble
"Ici, rien à voir (avec les autres restaurants)", confie Antoine Guidez, porteur de trisomie 21, qui a enchaîné 13 stages sans succès, dont plusieurs en restauration, avant d'obtenir son CDI à La belle étincelle. "Les ordres étaient assez directs, je bloquais", se rappelle-t-il. Ici, "les chefs me connaissent. Au moindre problème dans la cuisine ou en dehors, je peux leur en parler", poursuit le jeune cuisinier de 26 ans. Pour bon nombre, la Belle étincelle est leur premier employeur. Ils ont tous été recrutés en août dernier, puis ont suivi trois semaines de formation où les salariés, handicapés ou non, ont travaillé ensemble.
Insertion dans la "vie ordinaire"
"On veut développer leurs compétences dans la restauration pour qu'ils s'insèrent dans la vie 'ordinaire'", sans l'étiquette du handicap, explique Arnaud de Larturière, trésorier de l'association Tremplin Extraordinaire à l'origine du projet. Créée en 2017, l'association a pour objectif de développer des entreprises pour que des personnes handicapées s'insèrent dans la vie active de façon pérenne. La Belle étincelle est leur premier projet. L'association aide notamment au recrutement du personnel, à la communication ou à la collecte des financements nécessaires au lancement du restaurant, avant que l'entreprise ne devienne petit à petit autonome.
Une équipe à l'écoute
La philosophie générale est que les clients entrent dans ce restaurant comme dans n'importe quel autre, sans se rendre forcément compte de sa particularité. En salle, une trentaine de couverts ont été dressés, l'atmosphère est détendue entre les quatre équipiers handicapés et l'encadrant. Tablier noir ou bordeaux, chaise de bistrot... Tout laisse à penser à un restaurant classique parisien. A l'exception d'une petite mention sur le menu : "Cuisiné et servi par une équipe extraordinaire, 8 équipiers porteurs de handicap." Patience, répétition, écoute... Les encadrants accompagnent les équipiers au quotidien. "C'est un peu éprouvant mais c'est une fatigue mentale que l'on apprécie", sourit Antoine de Coudenhove, directeur du restaurant, tout en aidant un serveur handicapé à débarrasser une table.
Pour ces derniers, les horaires sont aménagés : un seul service par jour, celui du soir ou du midi. Deux fois par semaine, des psychologues viennent au restaurant pour suivre leur évolution. Des projets similaires ont déjà vu le jour en France comme les Cafés joyeux ou les restaurants Le Reflet (articles en lien ci-dessous).