Le suspense est levé le 8 février 2024 au soir. Fadila Khattabi est reconduite dans ses fonctions de ministre déléguée aux Personnes handicapées avec, en prime, les personnes âgées. Si les associations du champ du handicap ont réagi plutôt favorablement, certains citoyens se sont inquiétés d'une possible dilution de ses engagements. Alors, un risque ou pas ? Réponses du patron de l'autonomie, Jean-René Lecerf, qui préside le Conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Handicap.fr : Que répondez-vous aux personnes en situation de handicap qui redoutent de ne plus être au centre des intérêts de la ministre ?
Jean-René Lecerf : Les personnes handicapées sont beaucoup plus structurées et craintes des Pouvoirs publics que les personnes âgées. Au sein du conseil de la CNSA, nous avons des présidents d'associations importantes que l'Etat ne veut pas se mettre à dos parce qu'elles représentent une puissance et une force politique manifestes et sont parfaitement organisées. Il serait beaucoup plus difficile de les oublier que les associations de personnes âgées dont le poids est moindre.
H.fr : Donc ce n'est pas le nombre qui fait la force ?
JRL : En effet, il n'y a pas photo. C'est pourquoi je ne suis pas inquiet pour les personnes handicapées. D'autant que Fadila Khattabi a été désignée à l'origine sur la question du handicap et j'imagine qu'elle a un attachement plus particulier à ce public. Catherine Vautrin (ndlr : ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités) sera peut-être plus présente sur les personnes âgées.
H.fr : Ce regroupement de publics existait déjà par le passé puisque le ministère exclusivement dédié aux Personnes handicapées n'a vu le jour qu'en 2012...
JRL : Tout à fait et cela a fonctionné. J'espère que cette organisation permettra davantage d'efficacité et peut-être aussi des économies de fonctionnement. Au sein de la CNSA, nous étions très inquiets de voir que chacun reprenait ses billes et partait de son côté.
H.fr : C'était donc aussi une volonté de votre Conseil ?
JRL : En effet, réunir le grand âge et le handicap, c'est ce que nous souhaitons depuis longtemps. C'est d'ailleurs la raison d'être de la CNSA, qui se définit comme la caisse des grandes vulnérabilités. Il y a un ou deux ans, nous avions l'impression que l'appréhension d'une gestion unifiée de l'autonomie avait du plomb dans l'aile et on ne retrouvait pas la volonté de gérer ensemble ces publics. Cela se reflétait même dans les départements où, il fut un temps, on avait des vice-présidents dédiés à l'un ou à l'autre.
H.fr : En quoi était-ce dommageable ?
JRL : Si tous les problèmes ne sont pas identiques -celui de l'emploi ou de la formation ne se pose pas pour les personnes âgées-, il va de soi que les enjeux de citoyenneté, de mobilité, de dignité, de logement sont très voisins. En outre, il faut être de plus en plus perspicace et magicien pour distinguer de manière claire la personne vieillissante qui souffre de problèmes cognitifs ou de mobilité de la personne qui en souffre en raison de son handicap parfois depuis sa jeunesse. C'est pourquoi notre Conseil est favorable à la réunion de ces deux compétences au sein d'un même ministère.
H.fr : Ce ministère élargi pourrait aussi avoir plus de poids dans la balance politique ?
JRL : Je l'espère. Je regrette, sans critiquer les personnes, que celles qui exerçaient jusqu'à maintenant la responsabilité sur le grand âge ou le handicap n'aient pas eu le volume politique suffisant pour taper du poing sur la table lorsque cela est nécessaire, notamment en Conseil des ministres. Aurore Bergé avait un peu ce poids et pouvait mettre au premier plan l'interministérialité.
H.fr : Catherine Vautrin aura-t-elle ce pouvoir avec son super ministère qui va chapeauter Santé, Travail et Solidarités ?
JRL : Si je veux être optimiste, elle a déjà eu l'occasion de dire qu'elle regarderait de très près les sujets liés à l'autonomie donc elle ne souhaite manifestement pas s'en défaire. Ce que l'on souhaite, c'est que des politiques actives soient déployées rapidement car on n'avance pas assez vite, c'est le moins qu'on puisse dire, notamment par rapport au défi démographique sans comparaison avec ce qu'on a connu jusqu'à maintenant.
H.fr : Cette nouvelle configuration est-elle encourageante pour la Loi autonomie que tous attendent impatiemment ?
JRL : Oui. Le Conseil ne boudera pas une loi grand âge mais, ce que nous voulons, c'est surtout une loi « autonomie » car, globalement, je le redis, les problématiques sont les mêmes (Lire : Proposition de loi bien vieillir : le handicap encore exclu?). Ce doit être le terme fédérateur et une grande loi doit permettre de répondre aux principales interrogations sans pour autant prendre l'ensemble des décisions, notamment financières. Elle n'est pas là pour définir les détails des politiques qui vont être mises en œuvre. En revanche, elle est là pour dire qu'il n'y a pas de concession possible sur la dignité et la citoyenneté, notamment via le virage domiciliaire. Il faut aussi travailler sur l'attractivité des métiers du social et médico-social et la mise en place de véritables carrières pour les professionnels avec les départements qui savent promouvoir ces métiers et faire en sorte qu'on n'abandonne pas ces personnes.
Je pense donc que ce ministère à double casquette peut relancer une dynamique de manière positive. D'autant que la précédente scission suscitait une sorte de rivalité stérile entre les différents associations et groupes, de personnes âgées et handicapées, alors qu'elles mènent le même combat.
Un ministère grand âge et handicap : l'autonomie en force?
La ministre Fadila Khattabi hérite de 2 portefeuilles dans le gouvernement Attal : les personnes handicapées... et âgées ! Des raisons de s'inquiéter ? Jean-René Lecerf, président du Conseil de la CNSA, y voit au contraire une aubaine pour l'autonomie.
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