Dernière minute du 1er juin 2018
Malgré des critiques de la droite et de la gauche, l'Assemblée nationale a voté le 1er juin 2018 le passage de 100% à 10% de logements accessibles aux personnes handicapées dans la construction neuve, les 90% restants devant être évolutifs (article en lien ci-dessous).
Article initial du 30 mai
30 mai 2018. Top départ pour le marathon à l'Assemblée nationale autour du projet de loi ÉLAN (évolution du logement et aménagement numérique) qui porte la volonté de construire plus facilement et de réorganiser le logement social et concerne également l'accessibilité des logements aux personnes handicapées. « Un an après notre arrivée, une loi pour construire plus, mieux et moins cher et pour améliorer le quotidien des Français », a tweeté Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la Cohésion des Territoires. Le gouvernement a vanté une « longue concertation » du secteur doublée d'une « consultation » citoyenne en ligne. Ce projet de loi promet pourtant des débats électriques.
10% de logements accessibles
Parmi les « simplifications » attendues, l'allègement des normes d'accès aux personnes handicapées marque une « grave régression sociale », selon APF France handicap. Les associations sont nombreuses à déplorer une remise en cause majeure de l'universalité de l'accessibilité. Son article 18 prévoit en effet, au lieu du «tout accessible», dans les immeubles neufs de quatre étages et plus (c'est-à-dire desservis obligatoirement par ascenseur), un quota de 10% de logements qui devront répondre à l'ensemble des exigences en matière d'accessibilité, les 90% restants devant être évolutifs.
Évolutif : trop flou !
« Évolutifs » : la notion reste floue (menaçante ?). Le texte précise : « accessibles en grande partie et pouvant être rendus totalement accessibles par des travaux simples ». Il s'agirait ainsi de « promouvoir l'innovation dans la conception de logements pour garantir leur évolutivité tout au long de la vie, plutôt que d'exiger que tous les logements soient accessibles » justifie ce texte. Un collectif d'associations de personnes handicapées s'indigne dans un communiqué commun daté du 3 mai 2018 : « Depuis des mois, après des heures de discussions au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), après plusieurs rencontres avec le ministère de la Cohésion des territoires et, enfin, à l'issue d'une ultime rencontre des Administrations avec des représentants du CNCPH et certaines associations, excluant de fait l'ensemble des acteurs engagés sur ces sujets depuis des dizaines d'années, le gouvernement n'a jamais pu définir de manière satisfaisante la notion de logement évolutif ».
Un retour rétrograde
En renouant avec la notion de quotas, le gouvernement signe un retour rétrograde à des dispositions d'attribution combattues depuis les années 1970, proteste l'architecte Louis-Pierre Grosbois, dans une tribune dans Le Monde. « Ce qui fait froid dans le dos c'est la réaction de ses lecteurs qui, non concernés par le handicap, ne comprennent pas la réalité de la situation et considèrent que 10% de logements accessibles est suffisant, explique l'Anphim qui a fait de cette question son cheval de bataille. Or on ne renouvelle que 1% du parc chaque année et, donc, si on ne fait pas d'effort sur le neuf on va droit dans le mur. »
2 lois écornées
La loi handicap de 1975 a posé le principe de l'obligation d'accessibilité de tous les logements neufs puis celle de 2005 a défini les normes actuelles. Ces quotas « auraient pour effet d'assigner une partie de la population à des lieux non choisis », dénonce le CNCPH. Les personnes en situation de handicap, malades, accidentées ou vieillissantes et leurs familles ne pourraient plus accéder qu'à un parc national de 2 300 logements neufs en HLM chaque année, soit un appartement accessible pour 30 000 habitants, parmi lesquels 6 600 personnes seront âgées de plus de 65 ans et 160 seront potentiellement victimes d'un AVC, d'un infarctus ou d'une fracture du col du fémur… Dans son avis du 11 mai 2018, le Défenseur des droits rappelle à son tour que la réglementation relative à l'accessibilité « a déjà fait l'objet de nombreux assouplissements ». D'abord, l'exigence d'accessibilité ne s'applique, aujourd'hui, qu'aux seuls logements neufs situés en rez-de-chaussée ou desservis par un ascenseur, soit seulement 40% de la production. De plus, la réglementation autorise les maîtres d'ouvrage à déroger aux normes s'ils mettent en œuvre « des solutions d'effet équivalent garantissant l'accessibilité ». Et les propriétaires achetant sur plan ont également le droit de demander des adaptations dérogatoires…
Question de coût
Le gouvernement justifie cette évolution par la nécessité de diminuer le prix de la construction. Or, « les coûts induits par la réglementation sur l'accessibilité sont largement inférieurs aux coûts des exigences thermiques et d'autres réglementations ainsi qu'à la hausse rapide du foncier ou aux fluctuations des marges commerciales », avaient souligné trois organismes officiels (Inspection générale des affaires sociales, Contrôle général économique et financier et Conseil général de l'environnement et du développement durable) dans un rapport en 2015. D'autant qu'il « faut considérer le surcoût social énorme de la non-accessibilité », argumente le CDTHED (Comité pour le droit au travail des handicapés et l'égalité des droits) dans une lettre ouverte adressée le 28 mai aux 577 députés. Comme les autres associations engagées dans cette bataille, il réclame donc le retrait pur et simple de l'article 18.
Et maintenant ?
Recours contre les permis de construire plus encadrés, transformation de bureaux en logements plus rentable via un bonus, cession de foncier par l'État facilitée figurent dans les changements... Les débats autour du projet de loi ÉLAN, avec ses implications tentaculaires, dans de nombreux domaines, s'annoncent durs et houleux. Cette loi vise à redonner « des marges de manœuvre » aux acteurs de « terrain » en « simplifiant » l'acte de construire, « aucunement (à) remettre en cause les fondements de notre droit », assure Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires. Record depuis le début de la législature, plus de 3 400 amendements sont pourtant au menu, avec un « temps programmé » de débats d'ici au vote le 12 juin. L'Assemblée siègera un second week-end de suite, droite et gauche critiquant l'enchaînement des réformes : agriculture, logement, formation et assurance chômage. « Nous sommes excédés et, pour certains, épuisés », a protesté Jean-Luc Mélenchon, évoquant les députés, collaborateurs parlementaires et fonctionnaires de l'Assemblée.
La navette parlementaire va pourtant poursuivre son petit bonhomme de chemin. Cette proposition de loi sera ensuite soumise au Sénat et, si ce dernier y apporte des modifications, il lui faudra retourner à l'Assemblée puis à nouveau au Sénat en deuxième lecture. En cas de désaccord, elle passera est commission mixte paritaire, sans délai. Affaire à suivre…