La langue des signes à la télé : c'est pour quand ?

Charlie: pendant 72 heures, les Français rivés devant leur petit écran. Mais les personnes sourdes, comment ont-elles vécu cette tragédie ? A quand une interprétation en langue des signes des programmes télé ? Une charte du CSA s'y emploie.

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Handicap.fr : Les personnes sourdes ont-elles pu être « Charlie » ?

Cédric Lorant : En tout cas pas grâce à la télé. Aucune chaîne ne s'est préoccupée des 120 000 téléspectateurs parlant la langue des signes française (LSF) lors de ces évènements tragiques. Vous voyez des images en boucle, en live, toute la journée, sans pouvoir comprendre ce qui se passe. Ça peut être terriblement anxiogène ! J'ai été surpris que personne ne se mobilise pour nous permettre de partager ce grand débat autour de la liberté d'expression. Mais cela ne concerne pas seulement l'actu ; quelle place pour la LSF dans les programmes jeunesse ?

H.fr : Le 15 janvier 2014, une « Charte de qualité pour l'usage de la langue des signes française dans les programmes télé » a été proposée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Que prévoit-elle ?

CL : Elle soumet aux chaînes qui souhaitent mettre en place des fenêtres de traduction en LSF sept critères de qualité (article complet en lien ci-dessous). C'est notamment le respect du discours et de la langue (ce qui suppose de s'adresser à des interprètes diplômés), le fait de pouvoir distinguer les propos des différents interlocuteurs en cas d'échanges complexes (ce qui exige parfois plusieurs interprètes), une bonne visibilité du professionnel (idéalement un tiers de l'image, une lumière adaptée, un bon cadrage…), la retransmission de l'interprétation dans son intégralité (qui est souvent plus longue que le discours oral) et la précaution d'indiquer par sous-titrage ou LSF la modification ou la suppression d'une émission normalement accessible en LSF. Enfin, les signataires s'engagent à explorer les possibilités offertes par la télévision connectée et les nouvelles technologies.

H.fr : Vous dites « souhaitent », il n'y a donc aucune obligation ?

CL : Non, malheureusement. Son adoption repose sur le principe du volontariat ; il n'y aucune obligation légale dans ce domaine, même si la loi handicap de 2005 l'a évoqué. C'est un chantier important et nous comptons vraiment sur le soutien du CSA pour que cette charte soit réellement mise en œuvre à grande échelle. Le président du CSA, Olivier Schrameck, a réitéré de sa détermination, a précisé que c'était une première étape et qu'il y en aurait d'autres. Lors de cette signature, toutes les grandes chaînes étaient présentes. C'est une bonne chose.

H.fr : Mais pourquoi était-il nécessaire de travailler sur la qualité ?

CL : Je rappelle que la LSF est une langue à part entière qui ne souffre aucune approximation. Il arrive, par exemple, que certains interprètes aillent trop vite, et les spectateurs ont alors du mal à comprendre. Je ne leur jette d'ailleurs pas la pierre car il faut pointer du doigt leurs conditions de travail ; ils arrivent souvent au dernier moment car on les paye pour un temps donné, ne savent pas forcément de quoi le présentateur va parler. C'est difficile alors de proposer une traduction de qualité. Mais d'autres ne sont, en effet, pas assez formés.

H.fr : Finalement, le principe parait assez simple à mettre en œuvre. Alors une petite fenêtre où se glisse un interprète, en quoi ça pose tant de problèmes ?

CL : Apparemment, ce n'est pas très bon pour l'audimat. Cela perturbe le téléspectateur entendant. D'autant que, pour que les personnes sourdes comprennent, il ne faut pas que la fenêtre soit si petite que cela.

H.fr : La traduction, notamment des journaux télévisés, en LSF est parfois proposée sur le net…

CL : Il y a en effet eu une expérimentation fin novembre 2014 d'un JT en LSF sur Pluzz TV et d'autres initiatives sur le Net. Mais si moi j'ai envie de manger devant ma télé, et pas sur un ordi, plus tard, je fais comment ? Un groupe s'est constitué sur Facebook à ce sujet, qui réunit 3 000 personnes ; toutes revendiquent la même chose : pas de dispositif spécifique. C'est ça le principe d'inclusion. Donc le minimum, ce serait au moins l'interprétation du JT du soir sur une chaîne publique et pas seulement à 6h30 du matin ! Il y a des initiatives, bien sûr, mais ce ne sont que quelques centaines d'heures par an.

H.fr : Comment ça se passe sur les télés étrangères ?

CL : La traduction en LSF est plus développée aux États-Unis, en Allemagne et en Angleterre. Mais aussi en Afrique du Nord et en Amérique latine où l'on voit à l'écran des interprètes aux heures de grande écoute. Sur les télés américaines, par exemple, lors d'évènements majeurs, les consignes de sécurité sont données en LSF.

H.fr : Dans ce domaine, la France n'est donc pas très en avance.

CL : Non. Nous avons vu passer trois commissions « culture et handicap », pilotées par le ministère de la Culture. Cinq ministres au total à qui nos associations ont réclamé au moins l'accessibilité des JT du soir sur France Télévisions. Tous étaient d'accord mais, dans les faits ?

H.fr : Cette nouvelle charte fait écho à celle sur le sous-titrage signée en 2011 ? A-t-elle porté ses fruits ?

CL : Oui car les chaînes publiques et toutes celles ayant plus de 2,5% d'audience en moyenne sous-titrent aujourd'hui massivement leurs programmes, mais aussi parce que c'était inscrit dans la loi handicap de 2005. Certains annonceurs s'y mettent également car ils ont compris l'intérêt de s'adresser au plus grand nombre de consommateurs. On compte près de 4 millions de personnes sourdes ou malentendantes en France. La charte de qualité a permis de maintenir le niveau de 2011 et de reconnaître les efforts fournis par les chaînes de télévision en la matière. De plus, si un usager sourd, malentendant ou entendant est mécontent, il peut directement saisir le CSA pour faire valoir l'absence de qualité sur telle ou telle émission. Le canal de réception peut aussi être mis en cause avec la multiplication des décodeurs et box Internet ; dans ce cas, ce sont les opérateurs de téléphonie qui peuvent être saisis.

H.fr : Quels sont les chantiers qui, dans ce domaine, vous semblent prioritaires ?

CL : Le Journal du soir du France 2, je le répète, le développement de la LSF sur des canaux numériques mis en œuvre par le ministère de la Culture et l'arrêté qui oblige les ERP (Établissements recevant du public) comme les hôtels et les restaurants à activer le sous-titrage en permanence afin de rendre les programmes télés diffusés dans les lieux publics accessibles. Enfin, reconnaître et développer les métiers de la communication accessible : interprètes LSF, codeurs LPC (langage parlé complété) et techniciens de l'écrit. Des professionnels sourds peuvent aussi faire partie intégrante des équipes de journalistes et il faut donc ouvrir aux étudiants handicapés les métiers dans l'audiovisuel. (Lien vers la charte signée en ce sens en 2014 au sein du CSA - article ci-dessous). Ségolène Neuville, secrétaire d'État en charge de personnes handicapées, l'a réaffirmé lors de son intervention : « C'est aussi en favorisant l'accès des journalistes et personnes sourdes dans les médias que les choses pourront avancer ».

*Unisda : Union nationale pour l'insertion sociale des déficients auditifs.

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