Handicap.fr : Théo, vous revenez tout juste de Glasgow (Ecosse) où vous avez participé à vos premiers championnats du monde de natation (13-19 juillet 2015). Quatrième du 200 mètres (vidéo de la course ci-dessous), sixième du 100 et septième du 50, êtes-vous satisfait de vos performances ?
Théo Curin : Franchement, ce sont des championnats réussis. Déjà, il y a quelques semaines, je ne pensais pas que je parviendrais à m'y qualifier. Mais j'avais fait les minima, cela voulait donc dire que j'avais le niveau. Avant de me jeter à l'eau, j'étais assez stressé. C'est la première fois que je me mesurais à des athlètes d'une telle qualité. Par contre, une fois dans le bassin, je me suis battu comme je sais le faire en occultant mon appréhension. J'ai reproduit ce que j'avais fait durant ma préparation avec mon coach et ne suis pas très loin des autres. Ca me rassure.
H.fr : Viser une qualification pour les Jeux paralympiques de Rio, en septembre 2016, ça vous semble réalisable ou prématuré ?
TC : J'ai toujours dit que mon objectif principal était les Jeux de Tokyo, en 2020. Mais je crois que Rio, c'est faisable. Comme je le disais, je ne pensais pas me qualifier pour Glasgow, alors pourquoi pas… La Fédération ne donnera sa sélection que quelques mois avant le début des Jeux. Les championnats d'Europe, qui se dérouleront en mai, auront donc une grande importance. Certains nageurs qui étaient à Glasgow n'y participeront pas. Du coup, un ou plusieurs podiums, c'est possible. Mais être du voyage à Rio serait énorme. Si je peux le faire, je vais tout donner pour y arriver.
H.fr : En septembre 2013, vous avez intégré le Centre régional de l'éducation populaire et du sport (CREPS) de Vichy (Allier) pour les jeunes sportifs de haut niveau. Quelle est la fréquence de vos entraînements ?
TC : Je m'entraîne dix fois en semaine avec des sessions allant d'une heure et demie à deux heures. L'année dernière, j'avais une séance le samedi mais pas cette année. A la place, je fais du VTT avec les copains ou je continue de faire du sport ! Je ne peux pas m'arrêter (rires) !
H.fr : Comment gérez-vous les cours en plus du sport ?
TC : Je finis les journées crevé ! Si j'avais une console vidéo, je ne pourrais même pas y jouer. D'autant que j'ai aussi des devoirs à rendre. La première année, c'était difficile. Il me fallait le temps de m'habituer à être loin de mes parents et à mon nouveau cadre. Ca va mieux, désormais. En plus, j'ai terminé mes deux derniers semestres avec 14,5 de moyenne.
H.fr : Avez-vous des souvenirs d'avant vos six ans, avant votre amputation ?
TC : Pratiquement pas. Pas du tout, même.
H.fr : Finalement, vivez-vous avec la sensation de toujours avoir été quadri-amputé ?
TC : Exactement. J'ai eu ma maladie (une méningite, ndlr) très tôt et tant mieux ! Cela m'évite d'être nostalgique d'« avant ». Je vis mon handicap super bien, vraiment. Si je ne l'avais pas eu, je ne serais pas sportif, je n'aurais jamais fait de parachute...
H.fr : Vous n'avez jamais eu de moments difficiles ?
TC : (Il réfléchit) Si, au tout début de mon amputation. La façon dont me regardaient les gens m'a un peu traumatisé. Mais, un peu plus tard, j'ai rencontré Philippe Croizon qui m'a appris à ne plus y faire attention. Depuis, je n'ai jamais eu de moments où j'ai craqué, où mon handicap m'a saoulé (sic). Je vis ma vie 100% avec. Jamais je n'aimerais retrouver mes mains et mes pieds.
H.fr : Justement, que vous a apporté cette rencontre avec Philippe Croizon ?
TC : Philippe m'a appris plein de choses. Sur le regard des autres, surtout, mais aussi sur la manière dont gérer ma vie au quotidien. Il m'a donné des astuces sur la manière de manger, par exemple. Lorsque je l'ai vu la première fois, j'étais super content de pouvoir échanger avec lui. Il est mon copier-coller, comme un grand frère. C'est un modèle pour moi mais aussi pour toutes les personnes handicapées car il montre qu'elles peuvent tout faire. En plus de cela, je pense qu'il a aussi aidé mes parents à accepter plus facilement mon handicap.
H.fr : Etes-vous toujours en contact régulier avec lui ?
TC : Je le vois rarement car il est toujours à droite, à gauche et moi j'ai mes cours. Mais on s'appelle de temps en temps ; d'ailleurs, l'autre jour, on s'est parlé à deux heures du matin. Lors de ma difficile première année au CREPS, c'est un de ses coups de fil qui m'a vraiment reboosté.
H.fr : Il est aussi l'élément déclencheur de votre passion pour la natation. Pouvez-vous nous raconter ce moment où vous prenez la décision d'apprendre à nager ?
TC : Lorsque j'avais huit ans, je suis allé voir Philippe à l'entraînement avant qu'il ne traverse la Manche. Il m'a proposé de me baigner, j'ai accepté. Mais, à peine entré dans l'eau, j'en suis ressorti, paniqué. En rentrant, ça m'a fait réfléchir. Ce moment avait un goût amer. Alors, j'ai tout de suite demandé à mes parents de m'inscrire au club de natation à côté de mon village. Un jour, alors que j'étais en vacances pas très loin de chez lui, je l'ai appelé et lui ai dit de venir pour lui faire la surprise et lui prouver que j'étais capable de nager.
H.fr : Dans son film, Nager au-delà des frontières, Philippe dit entretenir un rapport très profond avec l'eau. Il se sent flotter. Ressentez-vous la même impression de liberté ?
TC : Quand je sors d'une journée de cours, aller dans le bassin, c'est… T'es bien ! Je me sens comme les personnes valides. Comme eux, je peux me dépasser. Dans l'eau, personne ne peut te déranger. Oui, t'es bien !
H.fr : Seriez-vous tenté de mettre en place des projets ou de vous investir dans le milieu associatif pour promouvoir le handicap ?
TC : Pourquoi pas ! Je veux vraiment montrer qu'on est capable de faire des choses. Après, relier les cinq continents, ce n'est pas pour tout de suite (rires) !
H.fr : Le 20 juillet 2015, l'Assemblée nationale a définitivement ratifié l'ordonnance prévoyant des délais supplémentaires pour la mise en accessibilité des lieux publics. Qu'est-ce que cela vous inspire du haut de vos 15 ans ?
TC : Oui, je me suis tenu au courant de cette actualité. Cela me fait dire que la France est un pays où il est difficile de vivre pour une personne en fauteuil roulant. Moi, ça va, le mien est manuel, donc on peut m'aider et me pousser. Mais pour ceux qui ont un fauteuil électrique, c'est l'enfer. Il y a toujours une petite bordure ou un trottoir avant un magasin. Je ne trouve pas ça normal. Par exemple, à Glasgow, tous les magasins que j'ai vus sont adaptés. C'est pareil pour les médias et le handisport. En Ecosse, il y a des pubs à la télé alors qu'en France il n'y a presque rien. Nous, les handisportifs, on s'entraîne autant que les valides ; je ne vois pas pourquoi ils seraient plus mis en avant.
H.fr : Une de vos premiers cadeaux était un vélo électrique adapté. Sept ans plus tard, qu'est-il devenu ?
TC : Il m'a énormément servi jusqu'à mes 13-14 ans quand même. Après, j'avoue que j'étais un peu jaloux de voir mes potes faire du VTT pendant que moi j'étais en vélo électrique. Alors, on l'a donné à une association et on en a acheté un autre qu'on a un peu aménagé.