« Non, votre chien n'entrera pas dans ma salle d'IRM. Attachez-le à un arbre dans le jardin ! » Fin de non-recevoir pour Jean Bouissou. Hors de question pour ce patient sourdaveugle qui finit par le confier à un agent de sécurité un peu mieux disposé. Cette scène surréaliste se déroule en juillet 2023 au sein d'un hôpital francilien. Militant associatif, Jean a quelques contacts et décide de faire remonter l'info jusqu'au ministère délégué au Handicap qui appelle aussitôt la directrice de l'hôpital. « Elle s'est excusée, assurant qu'elle 'avait montré les crocs' face à son médecin », relate-t-il. Comme Jean, en 2022, près de 170 personnes déficientes visuelles avec un chien guide se sont vu refuser un accès, notamment dans 16 lieux de soins, selon l'Observatoire de l'accessibilité des chiens guides et d'assistance (Obac), qui présente son rapport annuel le 15 novembre 2022, lors d'un événement au ministère de la Santé (Paris 7). Mais ce chiffre est « certainement largement sous-évalué », car toutes les personnes ne signalent pas forcément l'incident, selon lui.
Des médecins zélés ?
Jean Bouissou fait face à ce type d'affronts fréquemment : kiné, laboratoires d'analyse... C'est la bagarre, au nom de l'hygiène, évidemment. Un dentiste lui a conseillé de revenir avec un bénévole pour garder son chien le temps de la consultation, ajoutant : « Le syndicat des dentistes peut toujours venir me voir, je m'en fous ! ». Jean risque bien de le prendre au mot, il a prévu de lui rendre visite avec un bénévole... de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) qui lui a donné son accord. « Il y a ici une dimension d'usage abusif d'un pouvoir conféré par un savoir médical, estime l'Obac. Le patient n'a d'autre choix que de se soumettre à cette autorité. Ces situations sont d'autant plus critiques que la vulnérabilité des personnes handicapées exacerbe cette nature abusive, et le refus est d'autant plus humiliant et incompréhensible pour la 'victime'. »
Relayer et dénoncer !
« Je ne veux pas faire d'esclandre mais ma technique, c'est de relayer et de dénoncer, explique Jean Bouissou. Il m'est aussi arrivé d'appeler la police, deux fois, mais elle ne se déplace pas pour cela et ne verbalise pas. » Alors que faire ? « Si le refus persiste, notez avec le plus de précision possible les éléments suivants : date, heure, lieu, coordonnées des éventuels témoins et circonstances détaillées », conseille l'Association nationale des maîtres de chiens guides (ANM). Deuxième étape : contacter l'association pour connaître les recours. Kevin Fermine, un jeune militant associatif en fauteuil roulant, a eu plus de « chance ». « J'ai souvent eu des réflexions mais pas (encore ?) de refus. Une fois, une infirmière m'a demandé de cacher mon chien pendant mes soins, de peur de se faire réprimander par sa supérieure, qui n'aurait peut-être rien dit d'ailleurs... Les gens réagissent plus souvent par ignorance des lois », estime le jeune homme.
Un refus passible de 450 euros d'amende
Mais, justement, que dit la loi ? Interdire l'accès aux lieux ouverts au public aux chiens accompagnant les personnes titulaires de la carte d'invalidité ou de la carte mobilité inclusion est puni d'une amende prévue pour les contraventions de troisième classe, allant de 150 à 450 euros. Ils sont par ailleurs dispensés de muselière. Le texte précise qu'ils peuvent donc accéder aux centres hospitaliers, dans les structures d'accueil ou les salles d'attente. Les chambres et salles de soins sont toutefois interdites. Alors quid du chien une fois sur place ?
Un vide juridique pour les salles de consultation
« Il y a quelques années, un médecin nous a refusé l'entrée dans une pièce où l'on refaisait des pansements et observait des plaies opératoires expliquant qu'il fallait respecter un maximum l'asepsie (ndlr : qui consiste à empêcher la contamination d'une surface par des micro-organismes étrangers) », témoigne Nicolas Moineau, grimpeur aveugle. Ce jour-là, le secrétariat se situait à côté du lieu de consultation, il a donc pu y laisser son chien. Mais tous les hôpitaux ne se montrent pas aussi conciliants... « Certains exigent de laisser le chien dehors, ce qui n'est pas envisageable ! », clame l'ANM. Mais pourquoi de telles disparités ? En raison d'un vide juridique. « Cette décision est donc soumise à la médiation, poursuit-elle. (...) On observe de tout, y compris le dépôt d'un chien à la fourrière. »
Des salles dédiées dans les nouveaux hôpitaux ?
Dans son guide sur l'accessibilité aux bâtiments hospitaliers, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) formule plusieurs recommandations : « accepter le chien dans le bureau des consultations », « ne pas le distraire, le laisser seul ou le stresser » et, en maternité, « prévoir un local où il pourra rencontrer sa maîtresse et lui présenter des vêtements du bébé pour qu'il y ait une découverte olfactive avant le retour à la maison afin de favoriser l'acceptation de l'enfant ». Et pour les autres services ? Kevin Fermine encourage, pour tous les nouveaux hôpitaux, de prévoir une salle pour accueillir les chiens guides et d'assistance, dès la construction. « Ce sont des chiens 'sains' car ils bénéficient d'un suivi vétérinaire rigoureux », rappelle par ailleurs l'AP-HP.
Des guides de bonnes pratiques
En parallèle, la Fédération française des associations de chiens guides d'aveugle et l'ANM ont conçu des supports qui recensent les bonnes pratiques, principalement à destination des professionnels : rappel de la réglementation en vigueur, comment reconnaître un chien guide ou d'assistance, ce qu'il apporte aux personnes handicapées ou malades... Elles sont notamment condensées dans une vidéo (ci-dessus) qui met en scène Romain et son chien guide Domino. « Vous verrez, on se débrouille très bien, affirment-ils. Merci de nous laisser passer ! »